Françoise NORE

Françoise NORE

Les Feux follets : extrait n°2

 

         Svetlana Zyrianova sortit du Nadiéjda Café, leva la tête. Les maisons disséminées contre les flancs des collines semblaient ne plus être que de vagues souvenirs de constructions – elles ont existé, on le savait, mais qui pouvait affirmer qu'elles étaient toujours debout ? L'œil distinguait malaisément quelques éclaboussures de teintes délavées. Et, pourtant, c'était bel et bien des maisons, des lieux habités qui abritaient probablement des gens heureux – mais aussi des désespérés, des êtres qui cherchaient un sens à leur vie, qui s'inventaient une destinée différente, et peut-être y en avait-il qui abandonnaient leur vie passée, sans un regret, sans un seul remords, des êtres qui quittaient tout, à la recherche d'un exutoire – et cet exutoire, ce pouvait être soi-même.

         Et c'est mû par un tel désir de changement que l'on poussait un jour la porte à tentures de velours d'un endroit comme le Krasnaïa Zvezda, que l'on disait à l'un de ses propriétaires que l'on avait lu l'annonce et que l'on pensait correspondre au profil recherché, que l'on faisait tout pour convaincre l'homme assis derrière son bureau qu'il avait intérêt à embaucher celle qui se présentait. Mais vous n'avez jamais fait ce travail, avait-il retourné, C'est vrai, avait-on répondu, mais je saurai, laissez-moi essayer. On lui avait accordé cette confiance, mais elle devait encore aujourd'hui se faire violence – comment s'habituer à ces mains frôleuses, inquisitives, à ces souffles saccadés qui annonçaient la tempête, comment résister à ces déchaînements de corps en demande, sachant qu'il ne fallait pas résister, mais accepter, tout accepter ; comment …

         Un fracas brisa le brouillard, un coup de tonnerre anéantit la ville, toutes les lumières alentour explosèrent en une tempête d'éclats colorés. La Cité disparut, les bâtiments s'effritèrent, la pierre redevint sable et s'enfuit vers la mer. Svetlana Zyrianova s'arrêta. Devant elle, à quelques mètres, une silhouette connue. Reconnaissable même dans la foule qui arpentait le quartier commerçant en tous sens. Des cheveux blonds, des jambes longues, un déhanché particulier. C'était impossible. Non, cela ne se pouvait pas. Qu'elle habitât encore S*** était inconcevable. Elle ne pouvait pas ne pas avoir fui, après. Après ce qui s'était passé. Non. Ce ne pouvait être qu'une hallucination.

         Zyrianova se remit en marche, pressa le pas, dépassa la femme qui venait d'envahir son champ visuel en anéantissant la ville autour d'elle. Dans une vitrine, elle dévisagea celle qui cheminait quelques pas derrière elle. En effet. Hannelore Steinhof n'avait pas quitté S***. Comment pouvait-elle continuer de vivre ici ? Ne craignait-elle pas de rencontrer sa victime ? Et l'autre, l'autre, était-il toujours avec elle ?

 

 



11/11/2013
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