Françoise NORE

Françoise NORE

Chômage


Chômage

Vers la fin de chaque mois, et, ce, tout au long de l'année, les médias nous fournissent ce qu'ils appellent bien improprement les chiffres du chômage.[1] C'est donc l'occasion d'examiner ce nom et sa famille.

 

Comme on peut le deviner, chômage est dérivé du verbe chômer. Et l'histoire de celui-ci est très intéressante. Chômer est attesté pour la première fois au XIIIe siècle avec le sens de "ne pas travailler". Mais il existait déjà auparavant, vers 1150, sous la forme pronominale se chomer, et signifiait alors "ne pas bouger". Tout cela est fort logique : lorsqu'on ne travaille pas, on ne s'agite guère. Or, cette idée d'immobilité vient du père de chômer, le verbe latin caumare qui avait pour sens "se reposer pendant la chaleur". Les mauvais esprits ne manqueront pas de dire qu'un tel verbe ne pouvait naître que dans le Sud, heureuse terre qui ignore à peu près tout des températures sibériennes, sauf cas exceptionnels. Et ce même verbe caumare venait lui-même du nom cauma qui signifiait "grande chaleur". Quand le mercure grimpe, on se doit de rester tranquille, ce sont les Anciens qui nous le disent par-delà les millénaires.

 

Toutefois, l'histoire de cette famille de désœuvrés par temps de canicule remonte encore plus loin dans le temps, car cauma est le calque strict du nom de grec ancien kauma, signifiant lui aussi "forte chaleur". Mais l'on n'est pas forcément inactif lorsque les températures sont élevées. Ainsi, le grec kauma voyagea et essaima dans toutes les terres européennes qui bordent la Méditerranée et prit en catalan la forme calma, nom attesté en 1496 avec le sens d'"absence de vent".[2] On admirera la métaphore : la forte chaleur rend toutes choses immobiles comme s'il n'y avait pas le moindre souffle d'air. Le français profita de sa proximité géographique avec le catalan pour lui subtiliser calma, qu'il adapta sous la forme calme, attestée d'abord comme nom avec le sens de "cessation complète de vent", avant de prendre une signification plus générale, puis comme adjectif, en 1671, avec le sens que nous lui connaissons.

 

On constate donc que le grec ancien kauma a donné chômer "ne pas travailler" et calme "tranquillité", ce qui pourrait étonner. Cependant, en y réfléchissant bien, la chose s'explique aisément. Bien souvent, lorsque l'activité est ralentie, on dit : « En ce moment, c'est calme ». Nos lointains ancêtres grecs avaient diablement bien construit leur lexique, il faut en convenir.

 

 

Du chômage voulu au chômage subi

 

Revenons tout de même au chômage qui ennuie un certain nombre de nos concitoyens. En 1273, dans sa première attestation écrite, chômage avait pour sens "suspension des travaux le dimanche et les jours fériés". Autrement dit, chômage était utilisé pour des gens qui avaient une occupation, et cette interruption de travail était voulue. Or, par une volte-face sémantique à cent quatre-vingts degrés,[3] chômage en est venu à désigner non plus la cessation volontaire du travail, mais un arrêt que l'on subit, que l'on n'a pas désiré. Ensuite, naturellement, chômage donna le nom chômeur, relativement récent car il est attesté pour la première fois en 1876.

 

Terminons par une remarque qui montrera de nouveau que l'Antiquité gréco-romaine comprenait bien la vie. Puisque nous avons évoqué la cessation du travail, examinons le nom sieste. Ce mot est un emprunt à l'espagnol siesta, attesté dans cette langue vers 1220. Siesta provient du latin hora sexta "la sixième heure du jour", c'est-à-dire l'heure qui correspondait à midi, heure la plus chaude. Quand il fait très chaud, on dort. On devrait tous s'imprégner de la sagesse antique.

 

 

 



[1] Le nom chiffre doit être employé uniquement pour désigner les entiers suivants : 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9. Dans tous les autres cas, il convient de parler d'un nombre (voir notre ouvrage ici pour en savoir davantage à ce sujet et sur bien d'autres faits de langage).

 

[2] L'amplitude temporelle entre grec ancien et catalan ne doit pas troubler le lecteur ; si les documents en grec ancien, en latin classique, en latin vulgaire et en ancien français sont abondants, il n'en va pas de même pour toutes les autres langues.

 

[3] Un exemple assez emblématique de ce genre de revirement sémantique est celui du verbe énerver. Son premier sens était "affaiblir, priver d'énergie" (premier quart du XIIIe siècle). Puis, en 1836, on le rencontre avec une signification toute retournée, celle d'"irriter, surexciter". De quoi en perdre son latin et son ancien français.


28/10/2017
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