Françoise NORE

Françoise NORE

S'engatser


Je me suis engatsé tout l'après-midi, fatche de con, j'en peux plus !

– Je me suis engatsé tout l'après-midi avec ma caisse, j'en peux plus !

– Tout l'après-midi, fatche de con ! T'avais rien d'autre à faire ?!

 

 

De prime abord, le lecteur peut penser que ce bref dialogue comprend uniquement des mots bien français. Or, si l'on y regarde de plus près, il semblerait qu'il contient quelques formes venues d'ailleurs. Des mots étrangers se seraient-ils glissés dans le vocabulaire du français du Sud-Est ? C'est ce que nous allons examiner.

 

Une lecture rapide de cet échange laisse à penser que la première personne qui parle est exaspérée, comme l'indique la phrase "j'en peux plus", et que son interlocuteur marque un fort étonnement. Mais, pour que la compréhension soit totale, il convient de donner la définition des deux mots et expressions écrits en rouge, car ils sont pour ainsi dire inconnus du français standard : s'engatser signifie "se prendre la tête" et fatche de con est une interjection employée pour indiquer un très grand étonnement, voire une stupéfaction. Ajoutons que ce sont des mots extrêmement utilisés dans la région PACA.

 

 

O Sole mio ...

 

Nous venons donc de dire que s'engatser a pour sens "se prendre la tête, s'énerver", mais il nous faut aussi fournir quelques clefs étymologiques. S'engatser est la francisation du verbe italien incazzarsi qui signifie "péter les plombs", ce qui est cohérent avec le sens de s'engatser. Toutefois, il convient d'utiliser incarzzarsi avec la plus grande prudence de l'autre côté des Alpes parce que ce verbe est formé sur le nom cazzo, que les dictionnaires d'italien connotent comme "volgare" et traduisent pudiquement par "membre viril", alors qu'il conviendrait, pour être fidèle au niveau de langue en question, d'employer un nom beaucoup plus vigoureux, mais les dictionnaires sont souvent pudiques. Au demeurant, il se trouve que l'origine de ce sulfureux cazzo est très intéressante puisqu'il provient du nom latin caput "tête". Ce nom caput, après plusieurs évolutions, prit la forme captum et signifia alors "capuche". Par analogie, captum et ses dérivés morphologiques désignèrent ensuite le gland, puis la totalité du pénis. Au terme de son évolution, captum devint cazzo.[1] On remarquera avec intérêt que le contemporain s'engatser "se prendre la tête" a pour antique racine le nom caput "tête".

 

Ajoutons que s'engatser a produit le nom féminin engatse qui a pour sens "prise de tête" et que l'on peut aussi utiliser comme interjection pour exprimer un vif mécontentement.

 

En ce qui concerne l'expression très courante fatche de con, employée essentiellement comme interjection de surprise, il est clair que son second élément est le nom français bien connu. En revanche, le premier membre de cette locution est d'origine italienne ; il s'agit de la francisation – ou, plus précisément, de la provençalisation – du nom italien faccia "face, figure". Traduire l'expression en entier est maintenant un jeu d'enfant. Ajoutons que fatche de con doit être prononcé en marquant bien les deux syllabes de fatche et non pas une seule, comme le feraient les gens du Nord qui parlent pointu. Naturellement, si l'on hésite à articuler le second élément de cette locution, on peut bien sûr s'exclamer à la place Ça alors ! ou Par exemple !, mais ce sera beaucoup moins expressif. Or, dans le Sud-Est, on est friand d'expressivité, comme chacun sait.

 

 

 

 

[1]  Il existe, entre les langues, des ressemblances remarquables : on se rappellera en effet que le français populaire utilise l'expression tête de nœud.

 


25/10/2013
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