Françoise NORE

Françoise NORE

E


E

e-

          Abréviation de l'anglais electronic, utilisé à l’origine pour désigner quelque chose de réellement électronique. Mais, bien sûr, la mode s’en est emparée, et il est hautement recommandé d’accoler cette lettre à tout nom auquel on veut donner un air de modernité : e-billet (de train), e-commerce, e-liquide (pour les e-cigarettes, évidemment).

 

Éco-

          Autre abréviation, mais bien française, celle-ci : il s’agit d’estampiller écologique un article que l’on souhaite vendre ou vanter, quel qu’il soit. Par les temps qui courent, ces trois lettres assurent la fortune du commerçant qui décide de les utiliser.

 

Écoutez

          Paradoxe contemporain, qui a la vie dure : lorsque l’on pose une question à quelqu’un, il est indubitable que l’on va prêter attention à sa réponse. Pourquoi alors commencer par Écoutez ?

 

Effectivement

         Généralement, quand on répond à une question par l’affirmative, c’est oui que l’on utilise. Mais, pour certains, oui est un peu court. Aussi un esprit malin a-t-il lancé effectivement, avec le succès que l'on connaît. Effectivement fait partie de ces adverbes ou locutions qui veulent supplanter le pauvre oui, trop petit pour notre époque, comme absolument, en effet, tout à fait, sans oublier affirmatif pour les militaires et leurs familles, il n’y a pas de raison.

 

Élément de langage

          Non, élément de langage ne fait pas partie de la nomenclature linguistique, en dépit de la présence du nom langage. Cette locution, qui fait fureur dans les médias, et généralement lorsqu’il s’agit de causer politique, est longue à souhait, ce qui explique sa popularité. Sinon, on peut aussi employer argument, tout le monde comprendra, puisque c’est de cela qu’il s’agit.

 

Elle est pas belle la vie ?

          Expression utilisée pour partager sa joie et emporter l'adhésion ou l'optimisme de son auditoire. Il est toutefois déconseillé de dire la chose suivante : « J'ai trouvé un boulot à la morgue ! Elle est pas belle la vie ? ».

 

En

          Après avoir été en réunion, les têtes pensantes se retrouvèrent en terrasse afin de réfléchir à la façon d’améliorer les choses en interne. On décida qu’il faudrait aussi passer en caisse, se rendre en mairie, voire aller en cuisine, afin de trouver celui qui lança cette mode du en à toutes les sauces, si l'on peut dire.

 

En amont

          L’utilisation de cette locution trahit-elle un désir inavoué de vivre au fil de l’eau ? Nul ne sait, mais remarquons que l’on peut dire avant, même si cela fait moins savant. Adorée des gens qui s’écoutent parler, notamment dans les bureaux.

 

En effet

          En effet a pour sens « en réalité », voire « voici pourquoi », et doit s'employer pour introduire une explication : Le ministre n'a pas pu venir : il est en effet en garde à vue pour une affaire d'escroquerie. Éviter de l'employer à la place de oui, même s'il a plus de volume sonore que ce malheureux monosyllabique.

 

En fait

          Locution adverbiale, équivalente de dans les faits, et dont le seul sens admis est « en réalité » : les autorités disent qu’elles maîtrisent l’épidémie, mais en fait celle-ci est maintenant présente sur tous les continents.

          Cela, c’est pour les gens qui ont la faiblesse de parler un français correct. Pour les autres, en fait est une béquille langagière utilisée jusqu’à plus soif : au début d’un énoncé, en une sorte de majuscule oralisée, afin de signaler que l’on commence à parler, ou à la fin de son propos, comme si l’on disait « Point final ». Il existe même des extrémistes d’en fait qui emploient cette misère lexicale non seulement au début et à la fin de leurs phrases, mais aussi au milieu, comme une sorte de virgule. En un mot, en fait est un signe typographique oral qui trahit, dans le fond, une pauvreté du discours.

          Ce qui est étonnant, c’est que cette locution ait encore des utilisateurs, tant elle est raillée urbi et orbi sur les réseaux sociaux et dans les rubriques consacrées au bon français de nombre de sites internet. En fait, certains ne se rendent même pas compte de la façon dont ils parlent, en fait.

          Concluons avec un exemple personnel, les propos d’une étudiante qui s'apprêtait à présenter l'état d'avancement de son mémoire de M2 : « En fait, je vais vous parler en fait de mon analyse du parler des jeunes, en fait. ». Précision : c’était en cours de Sciences du langage. Mais non, les diplômes ne sont pas bradés, ne faisons pas les mauvaises langues.

 

En même temps

          Pour les gens qui parlent un français normal, l'expression en même temps signifie « au même moment ». Pour les autres, elle remplace toutefois ou cela étant, qui sont, n’en doutons point, des tournures difficiles à maîtriser et à mémoriser. En même temps, tant pis pour ceux qui l’utilisent.

 

En mode

          Expression d’origine technique, très pratique pour les fainéants qui ont la paresse de chercher un équivalent correct pour s'exprimer. Aidons-les : on peut être d'humeur ou disposé à faire quelque chose, ce n’est pas douloureux.

 

Énergie renouvelable

          Snobisme contemporain pour dire énergie naturelle. Tout comme nature est devenu environnement (voir plus bas). Tout cela fait scientifique, donc sérieux, n’en doutons point.

 

Entre guillemets

          Lorsqu’ils sont utilisés à l'écrit, les guillemets servent à marquer une distance ou une ironie : Machin a dit qu’il est « normal ». Jusque-là, tout va bien.

          Mais, ce qui est drôle, c'est lorsque certains décident de mimer ces guillemets tout en parlant. Voyons comment on fait : on lève les mains au niveau de la tête, on plie index et majeur de chaque main et, quand arrive le mot que l’on souhaite mettre en valeur, on proclame « Entre guillemets ! » et on clignote des phalanges. Il faudrait tendre un miroir à ceux qui agitent leurs petits doigts de cette façon, ils verraient combien ils ont subitement l’air très intelligents.

          Amusant : certains disent entre parenthèses et miment avec leurs doigts la forme des guillemets. De quoi devenir schizophrène, d’autant plus que entre parenthèses est une expression à réserver aux typographes, et qu’il faut dire par parenthèse.

          Donc, les guillemets sont parfois soulignés oralement et par une gymnastique des doigts, et ce sont bien les seuls signes de ponctuation qui ont droit à ce double honneur. Pourquoi se limiter aux guillemets ? Le summum du comique serait d’entendre des phrases comme celles-ci : Si seulement je pouvais gagner au jeu, points de suspension ; Attends un peu que je le voie, point d’exclamation ; Mais pourquoi ne veux-tu pas venir, point d’interrogation. Imaginons le mouvement de doigts qui mimeraient des points de suspension, d’interrogation ou d’exclamation. De quoi rire durant des heures, mais aussi provoquer une crise d'arthrose dans les poignets de ceux qui se livraient à de telles gesticulations.

 

Environnement

          Ah, le bon vieux temps où l’on parlait de la nature. Mais c’est fini : aujourd'hui, environnement sévit un peu partout. Nous ferions bien remarquer aux snobs que ces deux noms sont loin d'être des synonymes, vu que environnement signifie « milieu ambiant » et que nature a pour sens « vaste ensemble constitué par la faune, la flore et les paysages naturels », mais il est douteux qu’ils en tiendraient compte : nature, c’est bien trop simple.

 

Éponyme

          Éponyme est un adjectif à la mode que ceux qui croient bien causer utilisent à satiété mais avec les sens fautifs de « synonyme » ou de « qui tire son nom de », alors qu'il signifie « qui donne son nom à ». On ne dira donc pas « Madame Bovary, roman éponyme de Gustave Flaubert », car ce chef-d'œuvre n'a pas transmis son nom au génial Rouennais, mais « Madame Bovary, personnage éponyme du roman de Gustave Flaubert ».

 

Espace

          Est-ce l'appel des vastes étendues offertes par la nature qui fait que l'humain en vient à donner le nom d'espace à tout lieu ? Le lecteur aura remarqué que presque tout endroit devient aujourd'hui un espace. Cela commence dans les maisons mêmes : après nous être attardés dans l'espace de vie ou dans l'espace à vivre, dénominations du salon, passons dans l'espace de travail, c’est-à-dire dans un bureau, ou bien, si l’on est fatigué, dans l’espace de nuit, autrement dit la chambre (expression vue dans une annonce immobilière). Mais ce n’est pas tout ; voici quelques exemples où espace supplante lieu, endroit, pièce, zone, etc. : espace fumeurs (de plus en plus rare, au demeurant), espaces verts « jardins publics », espace urbain « ville », espaces publicitaires, et on en oublie. Ah, l’espace. En tout homme sommeille un astronaute.

 

Espace culturel

          Trouvaille de certains hypermarchés afin de donner au consommateur, c’est-à-dire au client muni d’une carte bancaire dûment approvisionnée, l'impression de se cultiver.

 

Espace détente

          Probable invention d'un directeur des ressources humaines, c’est-à-dire d’un chef du personnel. L'espace détente doit certainement être plus relaxant que la commune salle de pause d'avant.

 

Espace de vente

          Endroit magique où l'argent passe d'un portemonnaie à une caisse enregistreuse sans que l'on s'en rende compte. Très en vogue dans le monde du commerce et dans celui de la publicité. On évitera toutefois de remplacer systématiquement magasin par cette expression ronflante : Et si on allait faire les espaces de vente, cet après-midi ?

 

Espèce

          Nom féminin que certains mauvais parleurs emploient au masculin lorsque son complément est masculin, ce qui leur fait dire un espèce d’idiot sans trembler.

 

Être

          Une mode langagière contemporaine consiste à remplacer des mots simples et normaux par des tournures tarabiscotées qui contiennent le verbe être. Au hasard, citons : être en état de propreté au lieu d'être propre, être dans l'action pour agir, être dans le déni pour nier, être dans le renoncement  au lieu de renoncer, être en recherche d'emploi pour chercher un emploi, être en capacité de faire quelque chose au lieu de pouvoir faire quelque chose, la liste est loin d’être close. On notera aussi l’expression être en situation de, très productive, puisqu’on peut être en situation d’attente, en situation de handicap, la locution peut être employée avec n’importe quel nom, semble-t-il. Question : ne risque-t-on pas d’être en situation d’ennui, avec ce langage stéréotypé ?

 

Être à la recherche de nouveaux défis professionnels

          Être au chômage.

 

Être en situation de recherche d'emploi

          Être au chômage.

 

Être sur un projet professionnel

          Être au chômage.

 

Exfiltrer

          Néologisme qui a tout d’abord servi aux espions, puisque son premier sens fut « faire sortir quelqu’un d’un pays secrètement ». Les médias l’ont adoré, s’en sont emparés, et exfiltrer est aujourd’hui employé dès lors qu’il s’agit de faire sortir quelqu’un de n’importe quel type de lieu, pourvu que la personne en question soit un tant soit peu menacée.

 

Exigeant

          Adjectif chéri par les chroniqueurs artistiques, qui se feraient damner plutôt que d’employer pointu, voire incompréhensible ou abscons, ce qui serait bien souvent plus honnête. Question : en quoi certaines œuvres d’art sont-elles exigeantes ? Que requièrent-elles du public ? Probablement de la patience, afin de pouvoir les supporter sans défaillir.

 

Expérience client

          Invention des communicants, ces gourous de la publicité, afin d’induire dans l’esprit de l’acheteur l’idée qu’il vit un moment inoubliable en payant pour tel objet ou tel service. Ces sorciers contemporains en appellent aux perceptions et, plus globalement, aux sens du client. On frôle l’expérience hallucinogène des années psychédéliques.

 

Expérimenter

          Équivalent snob de vivre ou d’essayer : le gouvernement a décidé d'expérimenter de nouvelles mesures économiques. Les termes scientifiques sont vénérés des rédacteurs.

 

Expliciter

          On ne dira jamais assez combien il est chic d’employer des mots à rallonge. C'est pourquoi expliquer n'a guère de succès auprès de ceux qui s’écoutent parler.

 


23/02/2020
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