Françoise NORE

Françoise NORE

Les néologismes


Les néologismes

1.    Rappel historique de la néologie et de la créativité lexicale

 

 

1.1  Définition du néologisme

 

Un néologisme est un mot nouveau ou apparu récemment dans une langue. Tout mot a nécessairement été un néologisme. On considère généralement qu’un nouveau mot n’a plus ce statut de néologisme après quelques années d’utilisation courante ; naturellement, son entrée dans le dictionnaire met fin à ce statut.

 

 

1.2  Raisons de la création de néologismes

 

La création de néologismes ne se fait pas de façon aléatoire ou sans motivation ; elle répond à plusieurs nécessités. Nous avons identifié trois raisons principales qui justifient la formation de nouveaux mots.

 

Avant tout, des néologismes sont créés afin de nommer des réalités nouvelles, qu’il s’agisse d’inventions, de techniques ou de sciences. Citer tous les néologismes relevant de cette catégorie multiplierait considérablement la taille de cet article ; aussi nous contenterons-nous de n’en indiquer que quelques-uns :

 

–       aéroplane (1855) : avant d’être un nom, aéroplane fut un adjectif, dont la définition, telle qu’elle fut indiquée dans le brevet de son inventeur Joseph Pline, ingénieur et créateur de ce mot, est : « (qui applique un) système de navigation aérienne basé sur la notion de forme plane par opposition à la notion d'aérostat ordinaire sphérique ». Le nom aéroplane est attesté en 1864 avec le sens de « appareil de navigation aérienne basé sur le principe du plus lourd que l'air » ; il est formé avec l’élément aéro- et l’élément plane, qui est probablement le féminin de l’adjectif plan ;

 

–       avion (1890) : créé par Clément Ader, avion fut formé à partir du nom latin avis « oiseau ». S’il est attesté en 1890, il est possible que Cl. Ader ait inventé ce nom dès 1875 ;

 

–       autobus (1906), créé à partir du formant auto- et de la finale d’omnibus, devenue ainsi une sorte de suffixe : on le rencontre en effet dans d’autres formations lexicales du XXe siècle, comme bibliobus ;

 

–       automobile (1866 pour l’adjectif, 1890 pour le nom) : ce mot fut formé par imitation d’un mot aujourd’hui disparu, le nom et adjectif locomobile « qui peut être déplacé » et « machine comportant un moteur » ;

 

–       informatique : mot-valise créé en 1962, avec information et automatique. Il fut officiellement consacré par Charles de Gaulle, qui trancha lors d’un Conseil des ministres, entre informatique et ordinatique. Le mot est maintenant parfaitement lexicalisé ;

 

–       spationaute (1982) : formation généralement utilisée pour évoquer un astronaute français, alors que les autorités recommandent d’employer astronaute. On notera les termes particuliers suivants : astronaute s’emploie pour les Américains, cosmonaute pour les Soviétiques puis pour les Russes, taïkonaute pour les Chinois, vyomanaute (du sanscrit vyoma « ciel ») pour les Indiens ;

 

–       tapuscrit désigne un texte qui n'est pas manuscrit, mais copié à l’aide d’une machine à écrire. Sa plus ancienne attestation trouvée date de 1953.

 

Un autre motif qui conduit à la formation de néologismes consiste à satisfaire au politiquement correct ; il s’agit ainsi d’éviter des mots jugés désobligeants et de leur substituer des équivalents sémantiques adoucis. Ces créations sont généralement des syntagmes ou locutions, plus rarement des mots isolés, comme réduction d’effectifs pour licenciement massif ou personne en situation de handicap pour handicapé ou, mieux, invalide[1].

 

Enfin, certains néologismes sont considérés comme étant plus simples d’utilisation que les mots dont ils sont les parfaits synonymes. Cela se vérifie dans la création de verbes ; dans ce cas, il s’agit de créer des verbes du premier groupe, plus faciles à conjuguer que leurs équivalents sémantiques du troisième groupe. On peut citer ici deux exemples :

 

–       solutionner : ce n’est pas un néologisme récent puisque sa première attestation remonte à 1795. Sa création peut s’expliquer par la conjugaison difficile de résoudre, son synonyme exact ;

–       pour cette même raison, le verbe émotionner est attesté en 1823. Dans ce cas, il s’agissait de remplacer émouvoir, dont la conjugaison a pu être ressentie comme étant d’un maniement peu aisé.

 

 

1.3  Les néologismes littéraires

 

Tout mot est donc un néologisme au moment de son apparition. Bien souvent, les néologismes naissent spontanément, mais plusieurs écrivains ont utilisé des mots qui n’avaient pas été attestés avant d’être présents dans leurs écrits. Ces mots peuvent en effet être des néologismes, mais il se peut que ce ne soit pas toujours le cas : dans le cas de textes anciens, on ne peut parfois déterminer s’il s’agit de créations d’auteurs ou si ces mêmes auteurs furent les premiers à les avoir écrits, ce qui sous-entend que les mots en question existaient auparavant.

 

L’œuvre de François Villon (1431 - après 1463) contient ainsi de très nombreux mots non attestés avant lui. Pour un certain nombre d’entre eux, il est difficile, voire impossible, de donner une définition, tant cet auteur a utilisé de mots d’argot dans son œuvre. Voici toutefois quelques-uns qui sont attestés dans ses poèmes pour la première fois :

 

–       macquiller « travailler » ;

–       railler « faire des plaisanteries » ;

–       tripot « lieu pour jouer au jeu de paume ».

 

Il en va à peu près de même pour François Rabelais (1483 ou 1494-1553), sauf que, pour certains des mots présents dans ses romans, il a été avéré qu’ils ont été forgés par lui-même. Voici quelques-uns des mots attestés pour la première fois chez Rabelais :

 

Badigoinces « lèvres », peut-être créé par F. Rabelais

Bidet « petit cheval »

Braquer « faire tourner quelque chose dans une certaine direction »

Bredouille : sens libre, jeu de mots par homophonie

Embrener « emmerder »

Trimballer

Cahin-caha

Dodelinant

Escarbouiller, autre forme de écrabouiller

Amoustillé, autre forme pour émoustillé

Fanfreluche, dérivation de fanfelue ou fanfeluce

Faquin « portefaix »

Farfadet (venu du provençal)

Farfouiller

Faribolle, graphie ancienne pour faribole

Fourby « sorte de jeu de cartes »

Forbeu, autre forme pour fourbu

Friper « froisser »

Guodelureau, autre graphie pour godelureau

Gringuenaude

Hurluburlu, autre forme pour hurluberlu

Jabot (venu de l’occitan)

Lanterner

Marmonner

Maroufle

Morfiailler, autre forme de morfaller « manger beaucoup »

Morpion (venu du wallon)

Repetasser, autre forme de rapetasser (venu du lyonnais)

Se trémousser

Tripoter « jouer au jeu de paume »

 

Plus près de nous, les écrivains du XXe siècle ont, eux aussi, produit quelques néologismes :

 

–       Boris Vian créa pianocktail (dans L’Écume des jours), mot-valise qui reste un néologisme d’auteur, c’est-à-dire qu’il n’est pas passé dans le langage usuel ;

–       Raymond Queneau forgea le verbe concocter qui, au contraire, est devenu d’usage courant.

 

On notera qu’un mot qui est un néologisme d’auteur, qui n’intègre pas le lexique courant et qui n’est relevé dans aucun autre texte, s’appelle un hapax.

 

 

2.    Modes de formation des néologismes

 

 

2.1  Présentation sommaire

 

Nous proposons une division des néologismes en deux catégories : les néologismes spontanés et les néologismes terminologiques.

 

 

2.1.1      Néologismes spontanés

 

Le néologisme spontané est naturel à la langue ; c’est un nouveau mot qui apparaît spontanément parmi les locuteurs ou qui, de nos jours, naît dans les médias. De nombreux néologismes naissent pour des raisons pratiques et perdent rapidement leur valeur de nouveauté. Si le néologisme se maintient dans le lexique et n'est pas seulement un effet de mode, les locuteurs n'auront plus, après un certain temps, l'intuition de sa nouveauté. Lorsque le néologisme est acquis par un assez grand nombre de locuteurs, il est possible de dire qu'il est lexicalisé. Dans ce cas, il commence généralement par être admis par certains dictionnaires. Il convient de se rappeler que ceux-ci ne font que représenter l'usage.

 

Il existe plusieurs modes de création des néologismes spontanés :

 

–       la dérivation par affixation ;

–       la dérivation impropre ;

–       la composition ;

–       les acronymes ;

–       les abréviations ;

–       la parasynthèse ;

–       les néologismes de sens ;

–       les emprunts ;

–       la traduction de mots étrangers ;

–       la réactivation de mots disparus ;

–       les mots-valises.

 

 

2.1.2      Néologismes terminologiques

 

Les néologismes terminologiques sont des mots créés volontairement, et notamment par la Commission de terminologie, afin d’éviter l’emploi de mots étrangers, principalement anglais. Dans les lignes qui vent, nous en citerons seulement quelques-uns :

 

–       baladeur, néologisme créé par une des commissions ministérielles de terminologie, pour remplacer le produit-marque Walkman (1979) ;

–       courriel, contraction de courrier électronique comme alternative à e-mail[2] ;

–       logiciel, formé par une des commissions ministérielles de terminologie, opposé à software (1972) ;

–       ordinateur, déjà évoqué plus haut. Contrairement à de très nombreuses autres langues, le français n’a donc pas conservé le nom anglais computer ;

–       pourriel, québécisme, mot-valise formé avec poubelle et courriel, pour contrer spam (1997)[3].

 

Toutes ces créations se sont bien adaptées à la langue, sauf pourriel ; son lieu de naissance en dehors de la France pourrait expliquer ce fait.

 

 

2.2  Présentation détaillée des différents types de néologismes

 

 

2.2.1      Dérivation par affixation

 

Ce type de dérivation consiste en l'ajout d'un affixe, préfixe ou suffixe, à un radical ou à un mot lexicalisé. L’affixation par infixe existe également, mais c’est un phénomène rare en français.

 

De façon plus précise, l’affixation conduit aux types de formation suivants :

 

–       création d’un paradigme : un mot peut donner naissance à plusieurs mots dérivés : vapoter a ainsi donné vapoteur et vapotage ;

–       dérivation par analogie : par imitation de quiétude, les noms bravitude et zénitude ont été créés ;

–       formation à partir d’un nom propre : le nom de personne Sarkozy a donné naissance au nom sarkozysme ;

–       féminisation : le nom masculin auteur a dorénavant le nom auteure pour féminin[4].

 

Un même préfixe peut fournir plusieurs mots nouveaux, mais seuls survivent ceux qui nomment des réalités toujours existantes. Il en va ainsi du préfixe cyber- : les noms cyberpirate, cyberdélinquance, cyberharcèlement et cyberattaque sont utilisés, mais cybercafé tend à disparaître, car ce genre d’établissement n’est plus aussi présent qu’auparavant.

 

Il existe d’autres préfixes productifs, comme éco-, à l’origine de éco-responsable, éco-geste et éco-participation, ou bio-, qui a notamment donné bioénergie, biocarburant et biodiversité.

 

 

2.2.2      La dérivation impropre

 

La dérivation impropre s’opère en procédant au changement de catégorie grammaticale d’un mot, sans que sa forme ne soit modifiée. Très souvent, cette dérivation consiste en la transformation d’un participe présent en un nom : le participe présent étudiant a donné le nom étudiant, et le même processus peut être identifié dans le mot sachant, devenu un nom qui signifie « personne qui sait ».

 

 

2.2.3      La composition

 

Les néologismes formés par composition sont issus de deux mots qui peuvent être employés chacun de façon indépendante. Il existe plusieurs types de formations de néologismes par composition :

 

–       fusion de deux ou plusieurs mots indépendants, reliés ou non par un trait d’union : autoroute ;

–       composition juxtaposée, sans détermination de l’un des deux éléments par l’autre : bling-bling ;

–       composition juxtaposée, avec relation de détermination : carte cadeau ;

–       composé savant, avec formant grec ou latin : vaccinodrome ;

–       composé avec préposition : machine à coudre ;

–       composé hybride, qui comprend un mot français et un mot étranger : en live ;

–       composé phrastique comprenant un verbe : quoi qu’il en coûte.

 

 

2.2.4      Les acronymes

 

Un acronyme est un sigle qui se lit comme un mot et qui intègre le lexique en tant que nom commun, comme laser, ovni, radar ou sida.

 

 

2.2.5      Les abréviations

 

L’abréviation peut se faire de deux façons :

 

–       par apocope : on procède à la troncation de la fin du mot : automobile a donné auto ;

–       par aphérèse : dans ce cas, c’est le début du mot qui est supprimé : américain est à l’origine de ricain.

 

Toutefois, c’est l’apocope qui est le plus utilisée en français, comme pour métropolitain, qui a cédé la place à métro. Dans ce cas, celui de métro, nous sommes en présence d’un type de création hybride, mêlant dérivation impropre (métropolitain fut d’abord un adjectif avant de devenir un nom) et abréviation.

 

L’abréviation affecte quasi exclusivement les noms, mais elle s’applique aussi à quelques adjectifs, comme sympa, abréviation de sympathique. En théorie, tout mot peut être abrégé, à condition qu’il comporte au moins trois syllabes afin de conserver une quantité lexicale minimale apte à être comprise et à ne pas provoquer d’ambiguïté. Par exemple, il semble difficile d’abréger gentil en *gen ou méchant en *méch.

 

Certains mots obtenus par troncation sont lexicalisés, mais ce n’est pas systématique. Si métro est bien entré dans le dictionnaire, appart, abréviation de appartement, est absent de la lexicographie.

 

 

2.2.6      La parasynthèse

 

La parasynthèse consiste à former un mot en ajoutant un préfixe et un suffixe à une base lexicalisée ; aucun des deux affixes ne peut s’ajouter seul à la base, la présence des deux éléments est indispensable. C’est ainsi le cas de dératiser : les éléments , rat et iser forment ce verbe, rat est un nom enregistré, mais ni *dérat ni *ratiser n’existent.

 

 

2.2.7      Les néologismes de sens

 

L’ajout de sens n’est bien sûr pas un phénomène récent. Parfois, il peut se produire très longtemps après l’apparition du mot. Ainsi, l’adjectif farfelu, attesté vers 1460, a longtemps signifié « dodu ». C’est depuis 1921 et la parution de Lunes en papier d’André Malraux que farfelu signifie « fantaisiste » : l’auteur attribua ce nouveau sens à cet adjectif, l’univers de fantaisie présent dans son ouvrage étant fait de choses vaines, gonflées ou dodues.

 

Ce phénomène est assez courant dans le langage familier ; ainsi, capter « saisir, intercepter » a pris le sens de « comprendre », et traiter est employé par certains locuteurs à la place de insulter.

 

Toutefois, de nos jours, c’est dans le domaine de l’informatique que l’on rencontre le plus grand nombre de néologismes de sens, comme bureau, dossier, explorateur, fichier, navigateur ou souris.

 

 

2.2.8      Les emprunts

 

Une série d’articles a été consacrée à ce thème, particulièrement aux anglicismes. Le lecteur intéressé trouvera ces articles en cliquant sur "Les emprunts" dans le menu déroulant de gauche. Nous ne développerons donc pas cette partie ici, mais nous pouvons dire globalement que les emprunts sont toujours des néologismes au moment de leur introduction dans la langue.

 

 

2.2.9      Traduction de mots étrangers

 

Ce type de traduction s’opère lorsque l’on souhaite limiter la présence de mots étrangers en français. Les produits de ces mots sont nécessairement des néologismes, comme le montrent les exemples suivants :

 

–       résautage pour networking ;

–       mot-dièse pour hashtag ;

–       financement participatif pour crowdfunding.

 

 

2.2.10   Réactivation de mots disparus

 

De très anciens mots peuvent être réactivés, et dans des parlers où ils ne sont pas attendus. C’est ainsi que sont réapparus, dans ce qu’il est convenu d’appeler le langage des banlieues, les noms daron « père » et daronne « mère ». La question se pose de l’origine de ces réactivations.

 

 

2.2.11   Les mots-valises

 

Cette importante catégorie des néologismes est traitée dans la partie suivante. Le lecteur trouvera également un article détaillé à ce sujet en suivant ce lien. Nous donnons tout de même ci-dessous quelques éléments sur ce thème.

 

 

3.    Les mots-valises

 

 

3.1  Généralités sur les mots-valises et définition

 

Un mot-valise, ou amalgame lexical, est un mot formé par la fusion d'au moins deux mots lexicalisés, selon différents procédés que nous verrons plus loin. Généralement, le but du mot-valise est de faire un jeu de mots. Il peut également y avoir une volonté d'enrichir la langue si aucun mot existant n’est satisfaisant sémantiquement.

 

Plusieurs termes existent ou ont existé pour nommer un mot-valise : mot portemanteau, mot-centaure, mot-tiroir, mot-gigogne, etc. En outre, la définition du mot-valise varie selon les linguistes ; dans son acception la plus large, c'est un assemblage d'au moins deux lexèmes dont un au moins perd une partie de son signifiant, contrairement au mot composé, dont les éléments restent entiers.

 

Sur cette base, il est possible d'ajouter plusieurs contraintes. La plus courante, la contrainte morphologique, impose d'assembler deux mots ayant une syllabe commune appelée charnière, avec apocope du premier mot et aphérèse du second : le mot-valise calligramme est un assemblage de calligraphie et d'idéogramme, les deux mots partageant la syllabe gra. La contrainte morpho-phonologique requiert un segment commun, qui peut être une seule lettre, comme dans Bollywood, croisement de Bombay et de Hollywood, où c’est la voyelle o qui joue ce rôle de segment commun.

 

La contrainte sémantique impose que les mots assemblés aient un sens commun ou qu’ils ressortissent à un champ notionnel unique ou proche : il en va ainsi, par exemple, du mot-valise infobulle, assemblage d'information et de bulle, qui signifie « phylactère ».

 

Ce mode de formation lexicale n’est pas un phénomène récent : savate et le nom d’ancien français bot « chaussure » ont donné sabot (1512). On peut également citer écrabouiller, né de la fusion entre esboillier « étriper » (XIIe siècle) et écraser. Plus récemment, au XIXe siècle, chambouler (1807) a été créé à partir de bouler « faire rouler » (1390) et de chanceler. Il en va de même pour valdinguer (1894), produit de la fusion entre valser et dinguer « s’effondrer » (1833).

 

 

3.2  Origine de l'expression

 

Le terme mot-valise est une traduction de l'anglais portmanteau word ; il semble résulter de la transposition en français du jeu inventé par l'écrivain anglais Lewis Carroll dans son roman De l'autre côté du miroir (1871). L’auteur utilisa l'image d'une valise qui s'ouvre par le milieu et révèle deux compartiments : un mot-valise contient en effet deux mots. À l'époque de Lewis Caroll, ce type particulier de valise s'appelait en anglais portmanteau, ce qui explique l'expression anglaise portmanteau word.

 

 

3.3  Mode de formation des mots-valises

 

La construction d'un mot-valise se fait donc par troncation d'un mot existant puis composition avec d'autres mots ou d'autres troncations. Les termes linguistiques qui se rapportent à la troncation sont : l'apocope (suppression de phonèmes à la fin du mot), l'aphérèse (suppression de phonèmes au début du mot) et la syncope (suppression de phonèmes au milieu du mot).

 

Voici différents types de formation de mots-valises :

 

–        Apocope du premier terme-source :

              fran(çais) + anglais = franglais

 

–        Apocope du second terme-source :

              bisou + (n)ounours = bisounours

              bistro + (gas)tronomie = bistronomie

 

–        Apocope du premier terme-source + aphérèse du second terme-source :

              ali(ment) + (méd)icament = alicament

              endo(gène) + (m)orphine = endorphine

              informa(tion) + (auto)matique = informatique

              merd(e) + ()dia = merdia

              trans(port) + (fr)ancilien = transiilien

              flexi(ble) + (végé)tarien = flexitarien

              vidé(o) + (cin)éaste = vidéaste

 

–        Plusieurs apocopes :

              Benelux (Belgique, Nederland et Luxembourg)

 

–        Apocope d’un seul composant :

              docu(mentaire) + fiction = docufiction.

 

La création d’un mot-valise se fait à l’aide de certaines manipulations sur les mots, certaines ayant déjà été évoquées plus haut :

 

–       l’haplologie : lorsque les deux mots qui forment un mot-valise ont un segment phonologique commun, ce segment n’est pas répété : ainsi, information et automatique ont donné informatique avec la syllabe commune ma, mais non *informamatique. Ce phénomène de suppression d’une voyelle ou d’une syllabe commune s’appelle l’haplologie, et l’haplologie est obligatoire dans les mots-valises s’il existe ce segment phonologique commun ;

 

–       l’apocope : dans le mot-valise franglais, le mot français a subi une apocope ;

 

–       l’aphérèse, largement employée dans les mots-valises : domotique (domicile + robotique) est construit avec l’apocope de domicile et l’aphérèse de robotique ;

 

–       la syncope : le mot-valise upérisation est construit avec ultra et pasteurisation, ce dernier ayant subi la syncope, c’est-à-dire la suppression, de plusieurs de ses éléments dans le mot-valise final.

 

Pour la plupart des linguistes, les mots-valises doivent répondre à trois contraintes pour pouvoir être intégrés dans cette catégorie du lexique :

 

–       un segment phonétique identique ou proche : aliment + médicament = alicament ;

–       deux composants du mot-valise appartenant au même champ sémantique ou notionnel ;

–       troncation au point de rencontre.

 

Il n’est pas rare qu’un néologisme réponde aux trois contraintes. C’est par exemple le cas du nom informatique, formé de information et de automatique : le segment phonétique identique est ma, les deux formants appartiennent au même champ notionnel, et la troncation s’est opérée au point de rencontre, c’est-à-dire au segment ma.

 

 

3.4  Exemples de mots-valises néologiques contemporains

 

Nous donnons ici quelques exemples de mots-valises contemporains, qui furent ou qui sont aujourd’hui encore considérés comme étant des néologismes :

 

–       adulescent, d'adulte et adolescent ;

–       alicament, d'aliment et médicament ;

–       bobo, de bourgeois et bohème ;

–       Brexit, de Britain « Grande-Bretagne » et exit « sortie » ;

–       Corail (train), de confort et rail ;

–       démocrature, de démocratie et dictature ;

–       franglais, de français et anglais ;

–       infox, de information et intox ;

–       informatique de information et automatique ;

–       logithèque, de logiciel et bibliothèque ;

–       modem, de modulateur et démodulateur ;

–       sextape, de sex et videotape ;

–       tapuscrit, de taper et manuscrit.

 

Comme tout néologisme, les mots-valises peuvent fournir une solution alternative aux emprunts lexicaux, notamment aux anglicismes :

 

–       clavardage, de clavier et bavardage, est une création québécoise visant à traduire le sens particulier pris en informatique par le nom anglais chat, parfois francisé en tchat ;

–       courriel, de courrier et électronique, est également une création québécoise, officiellement reconnue en France, pour remplacer l'emprunt e-mail ;

–       ordiphone, de ordinateur et téléphone, proposé pour remplacer smartphone, mais il n’a pas été adopté ;

–       pourriel, de poubelle et courriel, autre création québécoise afin de supplanter spam. L'Académie française a rejeté cette création en raison de sa trop grande parenté phonétique avec courriel.

 

 

3.5  Mots-valises et littérature

 

La création de mots-valises permet un nombre illimité de combinaisons, ce qui ne peut manquer de séduire les écrivains et les passionnés des jeux de langage. De nombreux auteurs ont créé des mots-valises ; nous donnons ici quelques exemples :

 

–       Victor Hugo : foultitude, construit avec foule et multitude ;

–       Edmond Rostand : ridicoculiser, construit avec ridiculiser et cocu ;

–       Raymond Queneau : alcoolade, construit avec alcool et accolade ;

–       André Franquin, dans la bande dessinée Gaston Lagaffe : Gastonmobile, construit avec Gaston et automobile.

 

 

3.6  Mots-valises et marques commerciales

 

Comme de nombreux autres procédés littéraires, la création de mots-valises est souvent mise en jeu afin de nommer des produits ou des marques ; le mot-valise évoque ainsi deux idées dans l'esprit du consommateur, ce qui embellit et améliore l'image du produit. Nous citons ici quelques-unes de ces marques :

 

–       Craquotte : craquante et biscotte ;

–       Pom’pote : pomme et compote ;

–       Bridélice : Bridel et délice ;

–       Génifique (Lancôme) : génie et bénéfique ;

–       Groupon : group et coupon ;

–       Netflix : internet et flicks « ciné, cinoche » ;

–       Pictionary : picture et dictionary ;

–       Spontex : sponge et textile ;

–       Swatch : Swiss et watch ;

–       Twingo : twist et tango ;

–       Velcro : velours et crochet ;

–       blouge (couleur) : bleu et rouge, dans une publicité de Volkswagen ;

–       (vacances à la) Framçaise : FRAM (voyagiste) et française ;

–       jextraordinaire : Jex (marque d’éponges) et extraordinaire.

 



[1]  Handicapé est un anglicisme. Auparavant, c’était invalide qui était d’usage, mais ce dernier semble s’être spécialisé dans le seul sens de « inapte au travail ».

 

[2]  Voir plus loin, dans la partie consacrée aux mots-valises.

Courriel ne peut être accepté, car courrier, l’un de ses formants, ne signifie pas « message unique » mais « ensemble de messages ». Or, courriel vise à nommer un message unique. Pour rester dans le même sujet, rappelons que Mél est l'abréviation de Messagerie électronique, tout comme Tél est celle de Téléphone. Il est donc inapproprié d'évoquer l'envoi d'un Mél (ou mél).

 

[3]  Voir également la partie consacrée aux mots-valises.

 

[4]  Ce type de formation ne peut être accepté, car il n’existe pas de règle grammaticale disant qu’un nom masculin terminé par -eur forme son féminin à l’aide de l’élément -eure. Avant les créations récentes que sont auteure ou professeure, il n’exista aucun nom français féminin de cette sorte (supérieure ne peut être pris en exemple, car il s’agit d’une ellipse de mère supérieure).


27/01/2022
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