Françoise NORE

Françoise NORE

Les calques phraséologiques


Les calques phraséologiques

          Les calques phraséologiques sont des traductions littérales de phrases contenant un verbe et provenant d’une langue étrangère, l’anglais en l’occurrence. La plupart des calques phraséologiques sont récents, puisqu’ils sont nés durant le XXe siècle, et plus particulièrement durant les dernières décennies. Il est possible de voir dans ce phénomène une conséquence de la généralisation de l’apprentissage de l’anglais ainsi que de la diffusion de la culture et des modes de vie anglo-saxons. Les paragraphes suivants présentent quelques-uns de ces calques phraséologiques et en proposent une analyse.

 

Calques phraséologiques et métaphores

 

          Certains calques phraséologiques contiennent une métaphore dans la forme originelle anglaise, métaphore qui a été conservée dans la traduction en français. C’est notamment le cas du calque relativement courant qu’est Ce n’est pas ma tasse de thé (it’s not my cup of tea), dont le sens est « Ce n’est pas ce que je préfère ». Une autre expression, qui s’est imposée en France vers la fin du XXe siècle et qui contient également une image, est coûter un bras « coûter très cher », version accourcie de l'expression anglaise to cost an arm and a leg. Le succès de coûter un bras s’explique difficilement, car il existe de nombreuses tournures françaises métaphoriques de même sens, comme coûter les yeux de la tête, coûter (ou valoir) une fortune, sans oublier le populaire coûter la peau des fesses.

 

          Également apparue durant le XXe siècle, la tournure faire profil bas est une traduction de l'anglais, en l’occurrence de to keep (ou to take) a low profile. Les équivalents français que sont se faire oublier, raser les murs, faire le mort et se tenir à carreau dans un registre plus familier, présentent un sémantisme identique et sont également construits sur des images, notamment les derniers cités.

 

Problèmes syntaxiques et sémantiques

 

          Tous les calques phraséologiques ne contiennent cependant pas d’image. Et l’on remarque alors que les calques sans métaphore présentent soit une ambiguïté sémantique, soit un écart syntaxique par rapport aux règles du français. La locution verbale être en charge (de), calque de l'anglais to be in charge of, illustre cet écart. En effet, être en charge (de) introduit une étrangeté, car en charge a pour seule signification « en cours de chargement » et s’applique uniquement à un appareil ou à une batterie. Comme en charge ne peut donc se référer à un humain, la tournure être en charge doit être remplacée par d’autres formulations comme être responsable, avoir la responsabilité de, être chargé de, avoir la charge de ou s'occuper de.

 

          L’ambiguïté sémantique est relativement fréquente dans les calques phraséologiques. Elle se rencontre par exemple dans l’expression prendre pour acquis, traduction littérale de l’anglais to take for granted. On peut supposer que la proximité avec la locution prendre pour « croire à tort » a aidé à l'implantation du calque anglais en français. Mais, alors que l’expression anglaise a une valeur positive, son calque peut faire l’objet d’une mécompréhension, et prendre pour acquis peut être interprété comme signifiant « croire à tort pour acquis ». Pour pallier ce problème, des tournures comme considérer pour acquis, tenir pour acquis ou présumer peuvent remplacer le calque.

 

Faux amis et calques

 

          Il apparaît donc que la traduction littérale, qui est à la base du calque phraséologique, peut conduire à des confusions sémantiques, dans la mesure où l’anglais présente de très nombreux faux amis.[1] Or, certains de ces faux amis sont présents dans bon nombre de calques phraséologiques, ce qui peut induire en erreur un locuteur non avisé et produire des énoncés ambigus, comme le montrent les trois exemples suivants :

 

–       disposer d’un adversaire : calque de l'anglais to dispose of qui signifie notamment « battre (un adversaire) » dans le domaine du sport, disposer d’un (ou de son) adversaire a, en français, un contenu sémantique différent de battre, éliminer, l'emporter sur ou vaincre : disposer de quelqu’un consiste à faire de quelqu’un ce que l’on veut ;

 

–       mettre l’emphase sur quelque chose : le sens du nom emphase est « manière exagérée de parler ou d’écrire ». Sa présence est donc difficilement justifiable, d’un point de vue sémantique, dans l'expression mettre l’emphase sur, calque des expressions anglaises to lay emphasis on et to put emphasis on « mettre l'accent sur ». Afin de contourner cette distorsion du sens, il serait préférable d’employer des expressions comme mettre l'accent sur, insister sur, attirer l’attention sur, mettre en évidence, mettre en relief ou souligner, qui ne contiennent pas la connotation péjorative présente dans emphase ;

 

–       perdre ses nerfs : cette expression est le calque de l’anglais to lose one’s nerve. On notera qu’il s’agit d’un calque imparfait, puisque le nom, qui se trouve au singulier en anglais, est utilisé au pluriel dans la traduction française. Perdre ses nerfs est employé avec le sens de « s’énerver, perdre son sang-froid ». Or, to lose one’s nerve a une signification tout autre, qui est « ne plus avoir le courage de faire quelque chose », car nerve, outre le sens de « nerf », a aussi celui de « courage », notamment dans cette expression.

 

          En résumé, les calques phraséologiques qui contiennent une métaphore ont, généralement, une structure qui respecte la syntaxe du français et le contenu sémantique des mots. En revanche, les calques dépourvus d’image posent des problèmes de compatibilité avec les règles du français.

 

Un goût pour l’exotisme ?

 

          Les exemples précédents ont montré que les calques phraséologiques ne peuvent être comparés aux xénismes, puisqu’ils ne remplissent pas de cases sémantiques vides. Leur utilité est donc, d’un strict point de vue mécanique, contestable. Il est donc légitime de s’interroger sur les raisons qui favorisent l’emploi de ces calques. Leur pouvoir d’attraction pourrait s’expliquer par la forme métaphorique de certains d’entre eux, mais on fera remarquer que cette valeur stylistique est également présente dans les équivalents français, comme coûter les yeux de la tête à côté de coûter un bras. Probablement faut-il voir dans l’adoption de certains d’entre eux un goût pour leur caractère exotique, un désir de renouveler le matériel lexical, voire un attrait pour l’expressivité de certaines tournures.

 

Conclusion

 

          Comme tous les autres anglicismes, les calques phraséologiques doivent avoir une utilité sémantique : s’ils remplissent une case vide, leur emploi est justifié. Au vu de l’analyse qui précède, il semble que les calques phraséologiques ne remplissent pas cette condition, et l’on peut alors s’interroger sur la pertinence de leur utilisation.

 



[1]  Rappelons la définition de cette notion : un faux ami est un mot anglais de forme quasi identique à un mot français, mais dont le sens est différent.


10/09/2021
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