Françoise NORE

Françoise NORE

Les calques syntaxiques


Les calques syntaxiques

          Un calque syntaxique consiste en l’adoption, par une langue emprunteuse, d’une construction syntaxique étrangère ; ce phénomène s’observe notamment dans les relations entre l’anglais et le français. Mais, alors que les emprunts lexicaux sont par nature visibles et facilement identifiables, les calques syntaxiques ne se laissent pas détecter aussi aisément, car ils ne mettent pas nécessairement en jeu des mots anglais.

 

          Dans les relations entre le français et l’anglais, les principaux calques syntaxiques relevés sont les suivants :

 

–       l’antéposition d’un adjectif habituellement postposé au nom ;

–       l’utilisation d’un adjectif à la place d’un complément de nom ;

–       l’emploi de superlatifs non indispensables ;

–       la modification de certains gentilés ;

–       des changements dans l’emploi de certaines prépositions.

 

          D’autres structures, calquées de l’anglais, sont également présentées dans les paragraphes suivants.

 

 

Influence sur les adjectifs

 

          Les adjectifs français sont affectés de plusieurs façons par le phénomène du calque syntaxique. L’une d’entre elles concerne leur place par rapport au nom. Ainsi a-t-on pu relever les exemples suivants : l'actuelle situation ; une extrêmement belle maison. Or, il est connu qu'en français, à quelques exceptions près[1], tous les adjectifs se placent après le nom, contrairement à l’anglais, qui les antépose systématiquement[2]. Cette tournure semble concerner tout particulièrement certains adjectifs, comme actuel, possible et probable.

 

          Une autre façon selon laquelle les calques modifient la grammaire de l’adjectif s’observe dans des cas où, tout en restant antéposés au nom, certains adjectifs, tels premier et dernier, n’occupent pas une place naturelle : dans les premières cinq années, calque de the first five years, l’adjectif premières se trouve à une position anormale en français, puisqu’on attendrait plutôt les cinq premières années.

 

          On peut également observer la préférence accordée à un adjectif relationnel[3] par rapport à un complément de nom. Cela ne va pas sans une altération du sens. Ainsi, un journaliste sportif ne peut normalement pas commuter sans ambiguïté avec un journaliste des sports, car ces deux syntagmes ne sont pas synonymes : un journaliste sportif est, stricto sensu, un journaliste qui pratique un ou plusieurs sports, tandis qu’un journaliste des sports ne s’adonne pas nécessairement à quelque activité sportive.

 

          Les calques syntaxiques affectent également d’autres adjectifs. C’est ainsi que l’on rencontre couramment des tournures comme le deuxième meilleur buteur. Or, l’emploi du superlatif meilleur est inutile, puisque le deuxième buteur laisse aisément comprendre que l’on parle des attaquants les plus valeureux d’une compétition.

 

          Une autre catégorie d’adjectifs fait aussi l’objet de calques syntaxiques ; il s’agit des gentilés. Par calque de l’anglais North-American, le français dit Nord-Américain, alors que la syntaxe française demande Américain du Nord. Il en va de même pour Sud-Coréen, auquel on devrait préférer Coréen du Sud.

 

 

Influence sur les prépositions

 

          Les calques syntaxiques sont nombreux dans le domaine des prépositions. Ils ne concernent pas l’usage des prépositions dans leur ensemble, mais dans certaines expressions.

 

          La préposition avec est parfois utilisée dans certaines expressions calquées de l’anglais. Il en va ainsi de la traduction de la locution to be satisfied with, dont la structure est rendue de la façon suivante : Nous sommes satisfaits avec notre nouvelle voiture ; or, c’est la tournure Nous sommes satisfaits de notre nouvelle voiture qui est attendue. Pareillement, l’expression anglaise to help someone with something aboutit à Il nous a aidés avec nos travaux, alors que l’on doit dire Il nous a aidés dans (ou pour) nos travaux.

 

          De la même façon, la préposition pour, largement employée en français, ne peut être utilisée avec les verbes chercher, demander, payer, à l'image des tournures anglaises to see for, to ask for et to pay for. C’est ainsi que l’on peut entendre Il a payé cinq euros pour ce livre à la place de Il a payé ce livre cinq euros.

 

          Enfin, on remarquera les emplois particuliers de la préposition sous qui exprime, entre autres sens, une position spatiale inférieure à un point de référence. Or, l’influence de l’anglais under a favorisé l’apparition des expressions suivantes, desquelles ce sémantisme est absent : un malade sous observation (en observation), un problème sous contrôle (maîtrisé), un sujet sous étude (à l'étude), dix degrés sous zéro (en dessous de zéro). Un examen attentif des pratiques langagières contemporaines montrera que les formulations françaises attendues, indiquées ici entre parenthèses, semblent disparaître de l’usage courant.

 

 

Divers calques syntaxiques disséminés dans la langue

 

          Les calques syntaxiques n’affectent pas uniquement les adjectifs et les prépositions ; ils peuvent également concerner des mots d’autres catégories grammaticales. Il en va ainsi de l’utilisation de l’adverbe comment : par calque d’une question comme How did you like this film ?, on peut entendre Comment avez-vous aimé ce film ?

 

          L’emploi de considérer relève aussi d’un calque syntaxique. La syntaxe française veut que considérer soit suivi de comme. Ainsi convient-il de dire Je le considère comme intelligent au lieu de Je le considère intelligent, par imitation de l’anglais to consider qui est directement suivi d’un attribut, sans mot introducteur. En outre, notons qu'une construction directe après considérer peut introduire une certaine confusion, considérer pouvant avoir le sens de « examiner » ; si l'on dit Je considère cette solution étonnante, cela signifie que l’on examine une solution jugée surprenante, mais non qu’on l'estime surprenante. Il conviendrait donc de rétablir l’emploi de comme, afin d’éviter tout quiproquo.

 

          Il convient aussi de mentionner l’utilisation des locutions en rapport avec et en relation avec, qui doivent s’employer uniquement pour parler d’humains. Mais, par influence d’expressions comme in connection with, ces formes tendent à remplacer des locutions comme au sujet de ou par rapport à, lorsque le référent est non humain.

 

          La tournure et/ou est un pur calque de l’anglais and/or. Très présente dans des textes scientifiques ou techniques, elle tend à remplacer la seule conjonction ou. Toutefois, si l'on désire préciser son propos, il est possible de le faire, par exemple, de la façon suivante : pour la conférence, vous pouvez préparer un exposé oral ou un article, ou bien les deux. L’évitement de et/ou conduit certes à augmenter la taille de l’énoncé, ce qui peut paraître décourageant et expliquer l’utilisation de et/ou.

 

          Un autre exemple est la tournure Mon nom est. Ce calque de l’expression anglaise My name is n’est pas récent, car il est présent chez V. Hugo et chez A. de Vigny. Peu employée à l’époque de ces deux écrivains, cette formulation semble être aujourd’hui en faveur chez certains locuteurs.

 

          Les calques peuvent également affecter l’ordre des mots. En français, un nom propre spécifique qui accompagne un nom commun générique désignant un établissement, commerce ou tout lieu public, doit être postposé au nom générique. Ainsi doit-on dire Restaurant Pierrot et non Pierrot Restaurant, sous l’influence de la syntaxe anglaise qui place le spécifique avant le générique et, de manière générale, le déterminant avant le déterminé. Cette tournure est relativement fréquente dans les noms d’entreprises contemporaines, comme Aramis Auto ou Citya Immobilier.

 

          Enfin, il existe une expression qui, bien qu’elle ne soit pas des plus employées, trouve malgré tout des locuteurs. Il s’agit de la tournure Il est un, suivie d’un nom de métier, comme dans Il est un ingénieur. Cette structure est le calque de l’anglais He is an engineer, alors que le français n’utilise pas d’article devant un nom de métier dans ce genre d’énoncé.[4]

 

 

Conclusion

 

          Comme cela a été noté dans l’introduction de cet article, les calques syntaxiques sont généralement invisibles, car ils n’affectent pas la dimension lexicale de la langue. Cette caractéristique leur permet de se fondre dans la syntaxe française et d’être difficilement identifiables par le locuteur non avisé. En cela, une certaine vigilance s’impose, afin de limiter les conséquences de ces calques sur la grammaire du français.

 



[1] Il s'agit des adjectifs suivants : autre, beau, bon, grand, gros, haut, jeune, joli, mauvais, nouveau, petit, premier, vaste, vieux, vilain. Toutefois, lorsqu'ils sont accompagnés d'un adverbe long, le groupe ainsi formé doit être placé après le nom : une maison extrêmement belle. On peut toutefois antéposer les adjectifs subjectifs si l'on désire les mettre en valeur : une magnifique demeure.

 

[2]  Cette remarque ne s’applique pas lorsque le nom est suivi d’un participe passé, avec ellipse de l’auxiliaire : Treasure found in the serial killer’s house.

 

[3]  À côté de l’adjectif qualificatif qui indique une qualité ou une caractéristique (une table ronde), l’adjectif relationnel établit une relation avec le nom ; il peut d’ailleurs être remplacé par un complément de nom : la voiture présidentielle ou la voiture du président.

 

[4]  Naturellement, si le nom en question est suivi d’une information complémentaire, l’article s’impose : Il est un ingénieur très recherché, Il est un ingénieur que tout le monde s’arrache.


10/08/2021
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