Avoir le vire-vire
Aïe, ça ne va pas !
– Je crois que je vais raquer.
– Toi, tu as toujours l'œuf, de toute façon !
– Tais-toi, j'ai le vire-vire, il faut que j'aille au pàti.
Dans le Sud-Est, on n'est pas indisposé comme on peut l'être dans toute autre région française. Ici, on a des maladies inconnues, on présente des symptômes qui ne sont répertoriés dans aucun ouvrage de médecine. Découvrons cela.
Tout d'abord, quand on commence à se sentir patraque (voir la fin de l'article), on dit qu'on a l'œuf. A première vue, cette expression peut sembler étonnante ; pourtant, elle n'est pas bien difficile à comprendre : en français familier standard, on dit que l'on couve quelque chose, ce qui signifie qu'une maladie va naître. Or, dans le Midi, on va droit au but, comme chacun sait : si on couve, c'est parce qu'on a un œuf qui va éclore. Donc, on a l'œuf. Tout cela est au fond très logique.
Par ailleurs, le malade méridional peut avoir le vire-vire. Voilà une maladie assez facile à identifier, même quand on n'est pas venu au monde au pays des cigales, sachant que ce nom de vire-vire vient du verbe virer "tourner". Et qu'est-ce qui, chez un humain, peut tourner de façon désagréable ? La réponse est évidente : la tête. Et en effet : quand, en français standard, on a la tête qui tourne, dans le Sud-Est, on a le vire-vire. C'est plus expressif et, en outre, la répétition du nom souligne le côté déplaisant de la situation.
Té vé, ça va vraiment pas !
Ce vire-vire peut avoir des conséquences encore plus ennuyeuses, puisque, apparemment, il peut donner envie de raquer. "Ça, je connais", s'exclame le voyageur septentrional, tout réconforté de se sentir en territoire lexical connu ; "raquer signifie "payer", non ?". Certes ; en français populaire standard, raquer a en effet le sens de "payer". Toutefois, si raquer "payer" est apparu dans l'argot général à la fin du XIXe siècle, il s'agit en réalité d'un très vieux verbe dont on trouve la première trace écrite dans un texte datant de 1190. Sous cette même graphie raquer, il avait à cette époque le sens de "cracher, vomir". Et c'est la signification qu'il a dans le parler contemporain du Sud-Est : sur les rives de la Méditerranée, quand on raque, on vomit.
Donc, dans ce genre de situation, on se hâte vers les pàtis. Passé le premier mouvement de surprise, on comprend rapidement qu'il s'agit des toilettes. Anciennement, les pàtis étaient en quelque sorte la cabane au fond du jardin. Ce genre de construction n'existe plus, mais le mot est resté et, même s'il habite le dernier étage d'un immeuble ultramoderne, un Méridional authentique continue d'aller aux pàtis. Ajoutons que ce mot dérive de patium (lui-même dérivé du latin classique patus), qui a aussi donné le nom patio. L'étymologie est une science qui ne laisse pas que de mettre au jour des familles de mots étonnantes.
Va te faire voir, si tu as la pécole !
Au demeurant, tout cela n'est pas bien grave, si on compare ces petits troubles à une maladie des plus terribles qui peut, à tout moment, frapper n'importe quel malheureux. Et ce fléau a un nom ; il s'appelle la pécole. Évidemment, ignorant des us locaux, le touriste du Nord va interroger son entourage, et celui-ci ne manquera pas de lui faire savoir que, la pécole, c'est la peau du cul qui se décolle. Il s'agit là d'une plaisanterie très prisée dans le Sud : piéger l'estranger avec une définition de fantaisie, définition richement rimée, car l'homme du Sud est un poète. Cette expression s'emploie pour parler de quelqu'un qui est en quelque sorte un malade imaginaire : "Lui, gravement malade ? Tu parles, c'est la pécole qu'il a, oui !". Autrement dit : "Il n'a rien du tout". Notons que pécole est la francisation du nom occitan pecolo qui désigne, selon la définition qu'en donne Frédéric Mistral, une crotte qui s'attache à la laine des brebis. De ce fait, l'image s'explique aisément : quand cette crotte se détache, on peut avoir l'impression que l'animal perd une parcelle de son fondement. C'est drôle, et, d'ailleurs, de grands éclats de rire accompagnent généralement l'explication de pécole.
Enfin, un dernier mot : si, souffrant de quelque trouble, on s'entend conseiller par un local d'aller se faire voir, il ne faut pas s'en offusquer : dans ce contexte, aller se faire voir signifie "aller consulter un médecin", car voir a le sens d'examiner. Connaître cette expression peut donc éviter d'inutiles bagarres.
Voilà un premier aperçu des termes scientifiques en usage sur la Côte d'Azur pour traiter des différentes maladies. Un autre article suivra, qui abordera d'autres bobos tout particuliers aux Méridionaux.
N.B. Pour les passionnés d'étymologie, disons quelques mots au sujet de patraque, cité au début de cet article : patraque fut emprunté par les marins marseillais au nom d'italien du nord *patracca qui signifiait "monnaie de peu de valeur". Par plusieurs glissements sémantiques, ce sens originel en est venu à caractériser l'état d'une personne à la santé défaillante, une santé "de peu de valeur", en quelque sorte.