Bacon (n.m.)
Le nom bacon ne naquit pas outre-Manche, mais en France. En ancien français, bacon, d’origine germanique, désignait alors une pièce de lard. Ce nom prit la route de l’Angleterre où il est attesté au début du XIVe siècle avec le sens général de « viande de porc » ; on peut valablement supposer que cet emprunt se fit lors des échanges lexicaux entre les deux pays durant la guerre de Cent Ans (1337-1453). À cette époque, le bacon était la viande de base de la population rurale ; chez Shakespeare, bacon est un terme méprisant utilisé avec le sens de « rustre ».
Bacon et l'argot
Cela étant, bien plus tard, bacon revint en France mais, curieusement, ses premières attestations se relèvent dans des dictionnaires d’argot, avec les formes et les sens tels qu’ils sont fournis par les auteurs des ouvrages en question : baccon « pourceau », en 1829 (Bras-de-Fer, Nouveau dictionnaire d’argot par un ex-chef de brigade sous M. Vidocq) ; baccon « pourceau », en 1837 (E.F. Vidocq, Les Voleurs) ; bacon ou baccon « porc », en 1849 (Arthur Halbert d'Angers, Nouveau dictionnaire complet du jargon de l'argot) ; baccon « cochon (Argot des voleurs) », en 1894 (Charles Virmaître, Dictionnaire d'argot fin-de-siècle). Ainsi, bacon fit son retour en France en entrant tout d’abord dans le lexique du banditisme du XIXe siècle, chose à laquelle on ne pense pas de prime abord.
Les parlers régionaux, gardiens de l'ancien français
Le fait que bacon revienne en français par l'argot mériterait quelques recherches sur d’éventuels échanges entre truands français et anglais, mais il semble plus vraisemblable que, à l’instar d’un certain nombre de mots d’ancien français, bacon, oublié du lexique français général, resta utilisé dans les dialectes avant de renaître au début du XIXe siècle dans la capitale. Le fait que bacon resta d’usage dans les provinces est corroboré par les remarques suivantes : dans l’édition posthume de 1728 du Dictionnaire de Pierre Richelet (1626-1698), il est écrit : « Bacon, vieux mot qui regne encore dans quelques provinces, parmi les paysans, où l’on appelle bacon, le lard, et la chair salée » (graphie d’époque). De la même façon, dans l’article Bacon de son dictionnaire, Frédéric Godefroy (1826-1897) écrit, en 1881 : « Le normand, le picard, le wallon, le messin, le lyonnais, le forésien, le dauphinois, le bressan, le patois romand de la Suisse, ont gardé bacon, baccon, flèche de lard salé ». Après avoir cité de multiples exemples tirés d’écrits médiévaux contenant le nom bacon, Godefroy ajoute : « Vigneulles parle de la course du bacon à Metz, course où le prix était un morceau de lard » ; il s’agit de Philippe de Vigneulles (1471-1528), chroniqueur de la ville de Metz.
Bacon et le Nouveau Monde
Après son retour dans les ouvrages relatifs à l’argot de l’époque, bacon intégra le français standard ; ainsi, il est attesté en 1884 dans un récit de voyage aux États-Unis, puis en 1899 dans un contexte français. Il est difficile de parler de retour en français au sujet de bacon, puisque de très nombreux parlers régionaux l’avaient conservé au XIXe siècle dans leur vocabulaire usuel, avec une prononciation française comme on peut le conjecturer raisonnablement. Si bacon apparut dans le lexique argotique du début de ce même siècle, cela peut s’expliquer par des rencontres entre truands venant de différentes parties de France, et sa résurrection dans le parler général est due à l’observation des coutumes anglo-saxonnes en matière d’alimentation. Bacon est donc un très ancien nom français, ravivé par l’attrait des mœurs américaines, et il serait inenvisageable de le bannir du lexique français.
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