Françoise NORE

Françoise NORE

Bistro

L’étymologie du nom bistro est sujette à caution. L’hypothèse la plus vraisemblable consiste en une dérivation du substantif dialectal poitevin bistraud « petit domestique », lui aussi d'origine incertaine. On note aussi plusieurs mots, tous d'origine obscure ou inconnue, dont la forme présente des similitudes avec celle de bistro et dont les significations relèvent du même champ sémantique : bistingo « cabaret » (1845), bustingue ou bistingue « hôtel où couchent les bohémiens » (1848) et bistringue. On pourrait également, pour mémoire, citer ici bastringue, dont l'un des sens attestés fut « cabaret dansant » (début du XIXe siècle), même si sa forme s'éloigne de celle de bistro.

 

En dépit de ces termes, l’hypothèse de bistraud « petit domestique » comme étant l’étymon de bistro devrait toutefois être privilégiée, car bistro, tout comme mastroquet et son dérivé troquet, a d'abord désigné le tenancier de cabaret avant de nommer l'établissement lui-même. Le changement de graphie du mot, passant de bistraud à bistrot puis à bistro, peut s'expliquer par un effet de mode, le lexique populaire et argotique ayant produit un très grand nombre de mots terminés par -ot tout au long du XIXe siècle.

 

Cette étymologie possible, sinon probable, doit permettre de mettre fin à une légende urbaine qui circule depuis un certain nombre d’années sur l’internet et qui affirme que le substantif français bistro « débit de boissons » provient de l'adverbe russe bystro « vite » : en 1814, lors de l'occupation de Paris par les troupes du tsar Alexandre Ier, les soldats de ce dernier seraient entrés dans les cabarets parisiens en clamant des bystro énergiques, manifestant ainsi leur volonté d’être servis sur le champ. Mais cette fable est irrecevable, comme le prouvent les éléments suivants :

 

  • en 1814, le français disposait des noms cabaret, estaminet et taverne afin de désigner ce genre d’établissement ; il est donc douteux qu’il eût besoin de recourir à un adverbe étranger pour ce faire ;

 

  • tout au long du XIXe siècle, le parler populaire suscita un intérêt extraordinaire, et les dictionnaires d'argot et d'expressions familières au sens le plus large étaient légion : dès qu'un mot nouveau ou une tournure inhabituelle apparaissait, lexicographes et compilateurs de mots et expressions argotiques s’empressaient de les répertorier.[1] Or, le nom bistrot « cabaretier » et non « bar » apparut pour la première fois dans un dictionnaire d'argot de 1884, soit soixante-dix ans après le prétendu emprunt du mot russe. Il est donc impossible que bistro, s’il était né à Paris en 1814, restât ignoré durant sept longues décennies des dictionnaires et des plus grands écrivains d’alors, friands du parler du peuple.

 

Il convient donc, avant de se laisser séduire par quelque étymologie fantaisiste que ce soit diffusée sur la toile, d’examiner les faits lexicaux avec rigueur.

 

 

 



[1]  Les célèbres Excentricités du langage français de Lorédan Larchey (1831-1902), bibliothécaire et lexicographe, connurent onze éditions de 1858 à 1888.



27/09/2024
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