Françoise NORE

Françoise NORE

Elles sont malades, tes sandales !

     Dans un article précédent, nous avons présenté quelques usages particuliers de mots français qui ont, dans la région Midi-Pyrénées, des sens bien différents de ceux qu’ils possèdent en français standard. Ainsi, nous avons vu que l'on peut se faire servir un plat de racines sans s'en offusquer, vu qu'il s'agit là de nos traditionnels salsifis. On se rappellera également qu'être invité à trier des légumes ne consiste pas à faire un choix parmi ces aliments, mais à les éplucher ou à les nettoyer, autrement dit à les préparer avant de les cuisiner. Il est bien d'autres utilisations étonnantes de mots, comme nous allons le voir.

 

Vite, un médecin, les portemanteaux sont malades !

 

     Après avoir pris le repas narré dans l’article précédent, tout le monde se rend au salon, et la maîtresse de maison de vous dire gentiment : « N'hésitez pas à mettre des sandales, si vous voulez ; nous sommes entre nous ! ». Allons donc. Mettre des sandales ? Certes, nous sommes au sud de la Loire et on porte souvent des vêtements légers, mais tout de même : enfiler des chaussures de plage à l’intérieur ? Voilà de curieuses mœurs, pensez-vous. Comme vous êtes poli, vous ne relevez pas l'incongruité et vous vous contentez de répondre : « Oh, pas de problème, j'ai mes charentaises, ça ira bien ». Mais la dame réplique : « C'est ce que je vous disais, mettez des sandales ! ». Et, là, tout s'éclaire : ici, les sandales ne sont ni des chaussures de plage ni des escarpins ouverts mais, tout simplement, des pantoufles. Il suffit de le savoir.

 

     Chaussé de vos sandales, afin de suivre les us locaux, vous retournez au salon. La conversation reprend :

     –  Vous êtes bien installé ?

     –  Oui, c'est parfait, je vous remercie.

     –  Vous avez suffisamment de portemanteaux pour vos vêtements ?

     –  Oui, oui, j'en ai un ; avec l'armoire, j’ai de quoi tout ranger correctement.

     –  Ah mais non, ce n'est pas assez, je vais vous en apporter d’autres.

 

     Ça alors : d’autres portemanteaux ? Plusieurs dans une seule chambre ? Mais où les mettre ? Déjà, un seul portemanteau peut être volumineux ; comment peut-on envisager d'en installer un certain nombre dans une pièce ? Ça ne va pas être possible, et il va falloir le dire en douceur à l'hôtesse. Vous déclinez donc derechef, mais la dame se lève, s’absente quelques instants, puis revient avec une brassée de cintres : « Tenez, ça vous servira toujours ». Intérieurement, vous souriez : ici, portemanteau désigne le cintre. Voilà qui va vous faire gagner de la place dans votre chambre.

 

     Toujours poliment, vous remerciez la maîtresse de maison, mais celle-ci examine les cintres qu’elle vient de vous donner et en retire un du lot en déclarant : « Je reprends celui-là, il est malade ». Voilà autre chose : objets inanimés, en plus d’avoir une âme, vous avez un corps dont la santé peut être altérée ? Vous regardez votre interlocutrice d’un air interdit, et celle-ci vous montre ce qui l’ennuie : « Il est malade, son crochet est presque cassé. » Et en effet : en ces contrées, malade peut s’appliquer à toute chose pour signifier qu’elle est abîmée, en très mauvais état, voire inutilisable. Vous prenez donc les portemanteaux qui ne sont pas malades, vous les montez dans votre chambre, puis vous redescendez, riche d’un peu plus de vocabulaire que lors de votre arrivée en ces lieux.

 

Il est doux, mon pâté ?

 

     Les heures passent, chacun vaque à ses occupations et, au début de la soirée, tout le monde se rassemble pour l’apéritif (la péro, comme on a vu dans l’article précédent). On papote gaîment autour des amuse-bouches, mais votre hôte ne semble guère satisfait :

     –  Tu l’as acheté où, ce pâté ? demande-t-il à sa femme. D’habitude, il est bon, mais aujourd’hui il est doux.

 

     Interloqué, vous prenez un toast et vous goûtez. De quoi le maître de maison se plaint-il ? Le pâté n’est pas sucré ; il manque peut-être un peu de sel, mais il n’est pas doux, il ne peut en aucun cas être confondu avec un gâteau. La maîtresse de maison prend à son tour un toast et répond, après avoir avalé une bouchée :

     –  Tu as raison, il est doux ; le traiteur n’a pas mis assez de sel.

 

     Voilà donc une nouvelle surprise : pour parler d’un aliment qui n’est pas suffisamment salé, on ne le qualifie pas de fade, mais de doux. Rien à voir avec le sucre. Naturellement, si l’on n’est pas initié, ce sens particulier de doux est impossible à deviner.

 

     La conversation repart, en dépit du pâté doux. On discute maintenant des derniers congés d’été, et votre hôtesse vous demande :

     –  Et vos vacances, vous les avez réussies ?

 

     Formulation assez étonnante, mais, après tout, pourquoi pas ? Vous racontez vos sorties, vos soirées avec vos proches, les sites visités, les restaurants typiques de la région, tout un monde enchanteur. Mais la dame, semblant marquer une légère incompréhension, renouvelle sa question :

     –  Mais vous les avez réussies, vos vacances ?

     –  Mon Dieu, oui, vous entendez-vous répondre, elles étaient réussies. Et les vôtres ?

     –  Oh, nous, nous sommes allés chez mon frère, mais nous ne les avons pas réussies.

     –  Vraiment ?

     –  Oui, confirme le mari ; nous sommes restés à la maison, ou bien nous sommes allés à quelques expositions, au cinéma … Non, nous ne les avons pas réussies.

 

     Comme tout cela est étrange, pensez-vous : voilà des personnes qui ont vu leurs proches et eu des activités culturelles intéressantes mais qui ne sont pas satisfaites de leurs congés. La conversation se poursuit toutefois, vous écoutez attentivement, et vous avez finalement la clef de l’énigme : réussir ses vacances n’est pas le contraire de rater ses vacances mais signifie « avoir du beau temps pendant ses vacances » ! Autrement dit, même si on a vécu des moments fort agréables, les congés en question ne sont réussis qu’à la condition expresse qu’il y ait eu du soleil et que, par voie de conséquence, on ait pu avoir des activités de plein air.

 

Il a fait du jardin, après ?

 

     Puisque le sujet de la météo est lancé, le maître de maison poursuit :

     –  Heureusement, il a fait beau, aujourd’hui. J’ai pu faire du jardin, après. Et vous, vous en faites ? vous demande-t-il.

     –  Euh, eh bien, j’ai un jardin, mais je n’y fais pas grand-chose : les fleurs poussent toutes seules, c’est assez joli car ça fait jardin anglais, vous voyez ?

 

     Vos hôtes échangent un bref regard, puis le monsieur reprend :

     –  Moi, j’aime bien faire du jardin ; ce matin, j’ai planté des petits pois, des tomates et des salades.

 

     Vous acquiescez en souriant, mais vous vous sentez perdu : normalement, lorsqu’il est employé seul, le nom jardin désigne un terrain planté de végétaux d’agrément, arbres ou fleurs. Or, le maître de maison vient d’évoquer ce qui ressemble plus à des travaux des champs qu’au culte de la déesse Flore. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Voici l’explication : ici, le jardin est le jardin potager, et faire du jardin a pour sens « cultiver des fruits ou des légumes ». Voilà qui vous rassérène, vous êtes tout heureux d’avoir compris, mais quelque chose vous interpelle ; en effet, votre hôte a dit : « J’ai pu faire du jardin, après ». Vous lui demandez donc :

     –  Et vous avez fait du jardin après quoi ?

     –  Après quoi ?

     –  Je ne sais pas, vous avez dit avoir fait du jardin après.

     –  Ah oui, ce matin, puis tout à l’heure, dans l’après-midi.

 

     Encore un bel étonnement : lorsqu’il est employé seul, après ne signifie pas « à un moment ultérieur à un autre moment » ou « à un moment dans le futur », mais « à un moment dans le passé » ; en un mot, son sens n’est pas « après » mais « avant ». Si on l’ignore, on peut s’exposer à des quiproquos croquignolets.

     Au fond, tout cela n’est pas bien grave, puisqu’on enrichit son lexique et que l’on comprend ses hôtes. Mais l’heure tourne, on va maintenant souper, c’est-à-dire que l’on va dîner ; il faut donc finir la péro. On verse !

 

 

 



19/07/2019
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