La grammaire, c'est glamour
Il est assez fréquent d'entendre des plaintes dès qu'il est question de la grammaire française ; celle-ci serait difficile et emplie de chausse-trapes[1]. Or, cela n'est pas tout à fait exact ; au risque d'employer un anglicisme, on pourrait même dire que la grammaire est sexy. Et c'est ce que les lignes qui suivent vont prouver.
Le nom latin grammatica "grammaire"[2] donna le nom français grammaire, attesté en 1121 avec le sens d'"étude du langage correct et de la littérature". Ensuite, ce sens évolua quelque peu puisque, vers 1200, grammaire a pour signification "science des règles du langage". Enfin, par métonymie, il désigna le livre qui contient ces règles ; on rencontre grammaire avec ce sens supplémentaire dans un texte de 1550.
La grammaire ? Un mystère
Grammaire signifiait donc "étude du langage" en 1121, à une époque où les lettrés étaient bien peu nombreux. Or, cette science, qui traitait en ces temps anciens de la grammaire latine, était totalement incompréhensible pour la quasi-totalité de la population. Et comme l'humain a une tendance indéfectible à voir l'œuvre du Malin dans ce qu'il ne comprend pas, il n'en fallut guère plus pour que grammaire, sous la forme gramaire, prît aussi le sens de "livre de magie", sens attesté dans un texte daté d'environ 1165 : un ouvrage écrit en latin et qui traitait de choses inconnues ne pouvait qu'avoir trait à l'occultisme. Plus tard, au XIVe siècle, probablement sous l'influence de noms comme grimace, gramaire prit la forme grymoire, en conservant ce sens de "livre de magie". Ultérieurement, il fut graphié grimoire, et on le rencontre aussi, dans un texte daté d'avant 1475, avec la signification de "chose indéchiffrable, embrouillée".
Et, à la fin, ce sont les Français qui sont glamour
Grammaire, toutefois, ne se contenta pas de cet énigmatique enfant qu'est le grimoire. Comme tant d'autres mots français, grammaire traversa la Manche. On le retrouve à la fin du XIVe siècle chez nos cousins anglais sous la forme grammar et avec le sens de "grammaire latine". Ici aussi, ce sens évolua ; grammar en vint à désigner l'étude en général et la connaissance propre aux classes instruites. Et vu que cette connaissance incluait alors l'astrologie et la magie, grammar prit le sens secondaire de "connaissance occulte" vers la fin du XIVe siècle. La similitude dans l'évolution sémantique de grammaire des deux côtés du Channel est remarquable.
Avec ce second sens de "connaissance occulte", l'anglais grammar passa en écossais et prit la forme gramarye qui signifiait, par métonymie également, "magie, enchantement, envoûtement". Et c'est à ce point de l'histoire de cette famille lexicale que surgit l'inattendu : ce nom gramarye prit ultérieurement, toujours en écossais, la forme glamour, attestée en 1720 avec le sens de "magie, enchantement". Cela peut étonner, mais il s'agit bien là du nom glamour que nous connaissons tous et qui, contrairement à ce que certains laissent penser, notamment en répandant de fausses informations sur la Toile, n'est pas une création du XXe siècle à partir du nom français amour ; glamour naquit bel et bien au début du XVIIIe siècle, et en Écosse. De plus, comme l'Écossais est généreux, n'en déplaise aux mauvaises langues, glamour fut offert au frère anglais, qui lui attribua le sens de "beauté magique, charme séduisant", signification qui nous est familière et qui est attestée pour la première fois en 1840. On ne peut donc que constater le fait suivant : glamour est un frère de grammaire, et la grammaire, c'est donc glamour.[3] Voilà qui est magique.
[1] Ce nom est une véritable … chausse-trape. En effet, il peut être graphié de deux façons différentes : chausse-trape et chausse-trappe. Au demeurant, seul le second élément prend un s au pluriel, chausse restant invariable. On notera également qu'il s'agit d'un nom féminin.
[2] Le nom latin grammatica vient du grec grammatike (tekhne) "(art) des lettres", c'est-à-dire la philologie et la littérature au sens le plus large. Grammatike est le féminin de l'adjectif grammatikos "appartenant ou versé dans les lettres ou dans l'apprentissage", provenant lui-même de gramma "lettre", présent dans de nombreux noms français empruntés au grec ou créés en français : épigramme, programme, télégramme, etc.
[3] Profitons de cet article pour corriger une faute de prononciation que l'on entend parfois : en français, hormis dans de très rares mots, il ne faut pas allonger la prononciation d'une consonne double. Les seuls cas où cet allongement est pertinent concernent les formes des verbes courir et mourir, par exemple, pour éviter toute confusion sur le temps : je courais, imparfait, n'est pas la même chose que je courrai, futur. Dans cette seconde forme, il est tout à fait licite d'allonger la prononciation du r.
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