Un maquereau qui se maquille, ce n'est pas courant.
À première vue, il n'existe pas de rapport entre celui qui vit de la prostitution féminine et le fait d'utiliser des produits cosmétiques. Ce lien existe pourtant ; c'est ce que nous allons démontrer.
Le rapport entre maquereau et (se) maquiller doit être cherché très en amont dans le temps, et en dehors des frontières françaises, car maquereau et maquiller sont d'origine néerlandaise. Ces deux mots remontent en effet au verbe de moyen néerlandais maken, qui signifie "faire". Maken a donné la forme maquier en picard, attestée vers 1250 avec un sens identique.
Ensuite, maquier, prononcé en deux syllabes, est devenu macquiller en français standard, prononcé en trois syllabes. Le premier sens de cette nouvelle forme est "travailler", sens relevé au milieu du XVe siècle dans le texte des Coquillards,[1] car il s'agissait déjà d'un terme argotique. Plus tard, macquiller prend la graphie maquiller et signifie "voler" ; on le rencontre dans le Jargon de l'Argot reformé de 1628, ce qui montre qu'il était resté dans le domaine de l'argot. On le relève plus tard, en 1790, avec le sens de "faire", puis, vers 1815, avec celui de "falsifier". Le sens de "se farder" apparaît vers 1840 ; on comprend ainsi que le maquillage fut perçu comme une falsification de l'apparence. Notons qu'en argot contemporain, maquiller a toujours le sens de "faire quelque chose de suspect". Tout le monde connaît, par exemple, l'expression "maquillé(e) comme une voiture volée" …
Par dérivation interne, le moyen néerlandais a produit un autre verbe à partir de maken "faire" ; il s'agit du verbe makeln "trafiquer". Ce verbe a eu lui-même un dérivé, toujours en néerlandais, le nom makelare "intermédiaire, courtier". Et c'est ce makelare qui est à l'origine du nom français maquereau "proxénète", attesté chez nous en 1269, après adaptation du mot néerlandais à la phonologie française.[2] Le proxénète est, en effet, une sorte d'intermédiaire, si l'on peut dire. On constatera toutefois qu'un verbe de sens tout à fait anodin, le moyen néerlandais maken "faire", a eu en français deux dérivés argotiques chargés de connotations redoutables. Ce sont les surprises de l'importation lexicale …
[1] Il s'agit du texte du procès des Coquillards, de 1455. Les Coquillards étaient une troupe de bandits qui se faisaient passer pour des pèlerins afin d'abuser de la compassion des honnêtes gens qui leur faisaient l'aumône.
[2] Notons que, la même année, la forme féminine makerele "tenancière de maison close" est attestée dans le Roman de la Rose de Jean de Meung. La parité est une chose sérieuse, qu'on se le dise.
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