Les Feux follets : extrait n°3
– J'ai passé une semaine sur le trottoir, répondit finalement Zyrianova.
Stoltz ne commenta pas. Il connaissait Wolf Steiger. Il savait que l'homme était dur avec ses protégées, qu'il sanctionnait toute erreur ou maladresse sans délai. Il savait aussi que le proxénète avait de bons côtés, mais tout de même. Une semaine sur le trottoir, pour quelqu'un qui était habitué au confort moelleux du Krasnaïa Zvezda, c'était un châtiment cruel. Il observa Zyrianova, qui n'affichait aucune émotion particulière. Pourtant, la punition d'une semaine de bitume avait été dure. Sur le trottoir, on ne choisit pas, ou si peu – et comment se permettre de sélectionner sa clientèle quand on a en outre l'obligation de revenir avec une somme minimale imposée. Si le client déplaisait, on fermait les yeux – les paupières closes, c'était plus facile, ou, plus exactement, moins difficile ; on rouvrait les yeux au moment de compter les billets, et on se hâtait d'évaluer le nombre de passes qu'il restait à faire pour atteindre le montant quotidien de l'amende. L'épreuve avait dû être dure.
Zyrianova jeta un coup d'œil au radioréveil. L'heure tournait. Tu dois me donner huit cents schillings par soir pendant une semaine, sinon tu retournes dans Lustring ; et tu réfléchiras la prochaine fois avant de refuser un client. Wolf Steiger avait parlé.
Svetlana Zyrianova se leva, s'approcha de Iouri Stoltz. Le commissaire au Renseignement posa son verre, la laissa agir.
Et le temps s'étira, parenthèse éthérée, les volutes de leurs corps ondulaient sur les murs, on eût dit de spirales déployées, repliées, un mouvement sans fin – on se connaissait si bien, maintenant, on y prenait même du plaisir, le monde extérieur semblait ne plus exister, seule comptait l'impulsion qui unissait ces deux partenaires d'un instant – moment précieux car on oubliait tous ses problèmes ; on avait même omis de tirer les rideaux, et les deux ombres semblaient se projeter dans la nuit noire, léviter dans la rue, frôler les façades de l'autre côté de l'Oblomovskaïa, telle une exhibition sans pudeur du plaisir partagé qui s'annonçait – et qui se produisit.
Longtemps, ils restèrent immobiles, oublieux du lieu, oublieux de l'heure.
Des coups précipités à la porte. Svetlana Zyrianova interrogea Iouri Stoltz du regard. Le commissaire au Renseignement se leva, enfila son slip et son pantalon, entrebâilla la porte.
– Je vous prie de m'excuser, Monsieur, dit Karl-Heinz Vorodine, ces messieurs désirent vous parler.
Iouri Stoltz regarda par-dessus l'épaule de Vorodine qui s'éloignait déjà et vit ses gardes du corps qui approchaient. Il les interrogea du regard, écouta leurs propos, hocha la tête, retourna dans la chambre.
– Je dois y aller, dit-il à Zyrianova, puis il attrapa le reste de ses vêtements et s'enferma dans la salle de bains.
Les hommes de main entrèrent dans la chambre. L'un d'eux souleva le drap, les deux hommes regardèrent le corps nu. Zyrianova voulut se protéger, mais le drap lui fut arraché des mains tandis qu'un des deux gardes lâchait une insulte entre ses dents. Zyrianova ne répondit pas, ne bougea pas. Les deux hommes se consultèrent silencieusement, l'un d'eux lança un coup d'œil vers la salle de bains, regarda son collègue, mais Stoltz revenait déjà. Zyrianova rabattit le drap sur elle, les miliciens se mirent au garde-à-vous, s'éloignèrent. Stoltz s'approcha du lit, je reviendrai bientôt, bonne nuit, laissa plusieurs billets sur la table de chevet, partit.
Svetlana Zyrianova se dressa sur un coude, compta l'argent. Wolf Steiger sera satisfait, la somme devrait être réunie à la fin de la nuit. Toutefois, elle se leva, se prépara, descendit. Il restait encore quelques centaines de schillings à rassembler.
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