Les noms composés
Les noms composés posent essentiellement deux problèmes : leur variation au pluriel et la présence ou non d'un trait d'union entre les composants. En ce qui concerne la variation en nombre, et même si l’on constate un certain nombre d’exceptions, il existe quelques règles de base à maîtriser.
1. La variation au pluriel
Théoriquement, seuls les éléments habituellement variables en nombre, c'est-à-dire les noms et les adjectifs, peuvent prendre la marque du pluriel. Les autres éléments que sont les formes verbales, les adverbes, les prépositions et les pronoms, restent invariables. Mais cette règle de base n'est pas toujours respectée. Les paragraphes suivants présentent les difficultés liées à la graphie des noms composés.
Variation des deux éléments
Dans la structure nom + adjectif ou adjectif + nom, les deux éléments prennent la marque du pluriel :
un coffre-fort, des coffres-forts.
Dans la structure nom + nom, les deux éléments prennent généralement eux aussi la marque du pluriel (voir paragraphe ci-dessous) :
un stylo-feutre, des stylos-feutres.
Variation seule du premier élément
Il existe toutefois des noms composés qui présentent aussi la structure nom + nom, mais chez lesquels seul le premier nom est au pluriel, le second étant considéré comme un complément du premier :
un timbre-poste, des timbres-poste « des timbres pour la poste ».
Parfois, les deux noms sont reliés par une préposition, et le second nom ne prend généralement pas la marque du pluriel :
un chef-d'œuvre, des chefs-d'œuvre.
Mais l'usage peut être flottant, et différentes formes de pluriel peuvent être acceptées :
un clin d'œil, des clins d'œil ou des clins d'yeux.
Variation seule du second élément
Il existe plusieurs types de noms composés dont seul le second élément prend la marque du pluriel. Ce sont les noms ayant les formes suivantes :
- forme verbale + nom : la forme verbale est toujours invariable et prend généralement la forme de la troisième personne du singulier du verbe au présent. Si le second nom désigne un objet comptable, il se met au pluriel :
un tire-bouchon, des tire-bouchons[1]
- préposition + nom ou adverbe + nom : ici, le nom seul prend la marque du pluriel :
une arrière-boutique, des arrière-boutiques
un jusqu'au-boutiste, des jusqu'au-boutistes
un à-côté, des à-côtés
un à-coup, des à-coups
un à-pic, des à-pics
un haut-parleur, des haut-parleurs
un nouveau-né, des nouveau-nés[2]
un après-midi, des après-midis (en concurrence avec des après-midi)
- adverbe + adjectif : seul l'adjectif peut varier :
un trop-plein, des trop-pleins
- vice + nom : dans ces noms, vice est considéré comme un préfixe et est donc invariable :
un vice-président, des vice-présidents
- premier élément terminé par a, é, i ou o : seul le second nom peut varier au pluriel :
un ciné-club, des ciné-clubs
un auto-stoppeur, des auto-stoppeurs
- terre + nom ou adjectif : seul le second élément varie :
un terre-neuvien, des terre-neuviens.
Noms invariables
Certains noms sont forcément invariables en raison de la nature de leurs éléments :
- forme verbale + nom déjà au pluriel :
un sèche-cheveux, des sèche-cheveux
- forme verbale + nom indénombrable :
un brise-glace, des brise-glace
- forme verbale + nom indénombrable généralement utilisé au singulier :
un porte-monnaie, des porte-monnaie
- forme verbale + deuxième élément + verbe :
un pince-sans-rire, des pince-sans-rire
un va-et-vient, des va-et-vient
- forme verbale + nom propre :
un prie-Dieu, des prie-Dieu
- forme verbale + article au singulier + nom au singulier :
un trompe-l'œil, des trompe-l'œil
- forme verbale + complément circonstanciel :
un réveille-matin, des réveille-matin[3]
- forme verbale + adjectif à valeur adverbiale :
un gagne-petit, des gagne-petit
- forme verbale doublé :
un cache-cache, des cache-cache
- forme verbale + nom, le tout formant un composé de sens figuré :
un croque-monsieur, des croque-monsieur
- forme verbale + adverbe :[4]
un dors-bien, des dors-bien
- locution ou phrase :
un m'as-tu-vu, des m'as-tu-vu
un on-dit, des on-dit
un ouï-dire, des ouï-dire
un à-peu-près, des à-peu-près
un pis-aller, des pis-aller
un à-propos, des à-propos
un quant-à-soi, des quant-à-soi
- parfois, le singulier est commandé en toute logique par le sens :
un perce-neige, des perce-neige (ces fleurs percent la neige en général)
un lave-linge, des lave-linge (linge est d'un emploi très rare au pluriel)
un tête-à-tête, des tête-à-tête[5]
- noms communs tirés de noms propres comportant l'adjectif saint :
un saint-bernard, des saint-bernard
un saint-honoré, des saint-honoré.
Les noms composés étrangers
Les noms composés étrangers n'obéissent pas à une règle unique qui serait valable pour tous.
Les composés latins non francisés sont invariables : des post-partum, des post-scriptum. Il existe toutefois une exception : des ex-votos. On notera que les noms composés latins francisés dans leur graphie, notamment par l'adjonction d'accents, prennent la marque du pluriel : des fac-similés.
Des noms composés provenant d'autres langues peuvent aussi être invariables, comme des osso buco, des prima donna.
En ce qui concerne les noms composés empruntés à l'anglais, les règles sont fixées. Ceux qui se terminent par l'élément up et qui comportent un trait d'union sont invariables : des pick-up, des pin-up, des start-up, alors que ceux qui n’en comportent pas varient : des startups. Les autres types de noms composés d'origine anglaise prennent un trait d'union et voient leur second élément varier en nombre : des week-ends. Enfin, la plupart de ceux dont le premier élément est une forme verbale, une préposition ou un adverbe restent invariables : des after-shave, des coming-out. On notera toutefois l’exception des pull-overs.
Nous donnons ci-dessous un tableau présentant le pluriel français de quelques noms composés anglais.
Remarque
On rencontre également les pluriels des garden-parties et des self-made-men.
Les onomatopées
Les noms composés formant des onomatopées n'obéissent pas non plus à une règle unique.
Lorsque les deux éléments sont soudés, le nom prend la marque du pluriel : des ronrons. Mais l'onomatopée est généralement invariable lorsqu'un trait d'union lie les deux éléments : des coin-coin, des tic-tac. Toutefois, la graphie des tic-tacs est acceptée, et les rectifications orthographiques de 1990 préconisent la soudure : des tictacs.
On remarquera que frou-frou a, lui aussi, plusieurs pluriels : des frou-frous et des frous-frous.
Enfin, lorsque les deux éléments onomatopéiques sont reliés par une préposition, le nom reste invariable : des bric-à-brac.
Les noms formés avec l'adjectif grand
L'adjectif grand n'est pas suivi par un trait d'union quand il est utilisé avec les noms masculins officier, prêtre, prix et vizir : le grand officier va concourir pour le grand prix. Avec tous les autres noms, le trait d'union s'impose : un grand-père. Dans tous les cas, l'adjectif masculin grand s'accorde au pluriel : des grands prix, des grands-oncles.
On notera que grand-duc désignant le propriétaire d'un grand-duché prend un trait d'union et que grand duc « oiseau de proie » n'en prend généralement pas, même si certains grammairiens ne le refusent pas.
L'adjectif féminin grande, pour sa part, s'unit toujours au nom qui le suit par un trait d’union : une grande-duchesse. On notera son invariabilité totale lorsqu'il est employé avec les noms féminins suivants : chose, croix[6], faim, maman, mère, messe, peine, peur, place, route, rue, salle, soif, tante et voile : une grand-tante, une grand-place, des grand-mères, des grand-voiles. Cela concerne aussi les locutions à grand-peine et pas grand-chose.[7]
Toutefois, mettre un s à grand est aujourd'hui accepté par les recommandations orthographiques déjà évoquées, et l'on peut donc écrire des grands-mères[8].
Enfin, signalons que la règle générale s’applique aussi aux composés avec arrière : des arrière-grand-mères.
Quelques autres cas particuliers
Aller-retour pose un problème lorsqu’il est employé seul : Larousse, le Petit Robert, Hanse et l’Académie française préconisent allers-retours, tandis que Girodet et Thomas sont pour l’invariabilité. Mais, lorsqu’il est apposé à un nom, aller-retour est invariable : des billets aller-retour. Notons que les rectifications orthographiques de 1990 préfèrent des aller-retours.
Le pluriel d'un ayant droit est des ayants droit. Il s'agit là d'une survivance de l'époque où le participe présent s'accordait et devenait un nom.
Le nom chevau-léger « cavalier de la garde du roi » a la forme de pluriel des chevau-légers : la forme de singulier chevau au lieu de cheval s'explique par le fait que le nom chevau-légers fut d'abord utilisé au pluriel avant de l'être au singulier. Toutefois, l'absence contemporaine du x au pluriel dans chevau-légers reste inexplicable, car les premières attestations du mot présentaient bien le x.
Le nom pot-au-feu est invariable. Au début du XXe siècle, Larousse donnait pour pluriel des pots-au-feu, mais la forme ne s'est pas imposée, probablement en raison de la prononciation du singulier qui fait entendre le t de pot, ce t ne devant normalement plus s'entendre dans le cas d'un pluriel ayant la forme *pots-au-feu.
En totale contradiction avec ce qui précède, un guet-apens fait bien au pluriel des guets-apens, alors que l'on continue de faire sonner le t de guet dans le pluriel, ce qui, en toute logique, ne devrait pas être.
Quand franc fait partie d'un nom composé masculin, les deux éléments prennent la marque du pluriel : un franc-maçon, des francs-maçons. Mais on notera que, dans un composé féminin, franc- est invariable : une franc-maçonne, des franc-maçonnes. Remarquons aussi l'expression jouer franc-jeu, dans laquelle franc-jeu prend un trait d'union.
Mi est toujours suivi d'un trait d'union et reste invariable : des mi-temps. Il en va de même pour demi et pour semi : des demi-victoires, des semi-victoires.
L'expression à demi-mot est toujours au singulier. Demi s’unit au nom qui le suit par un trait d'union : parler à demi-mot. S’il précède un adjectif, son trait d’union disparaît : un verre à demi plein.
2. Le trait d'union
La grande majorité des noms composés s'écrivent avec un trait d'union. Quelques noms, toutefois, font exception et soudent leurs deux éléments, notamment baisemain, boutefeu, courtepointe, lèchefrite, mainlevée, mainmise, mainmorte, malemort, pattemouille, portefaix, trictrac, zigzag. On notera que quelques rares autres noms composés ne comprennent ni soudure ni trait d'union, comme clin d’œil, compte rendu ou opéra bouffe.[9]
Suite aux rectifications orthographiques de 1990, on observe une tendance à agglutiner les éléments des noms composés qui comprennent un élément verbal ou certains préfixes. Le trait d'union disparaît donc, et l'on peut écrire des parebrises. Rappelons toutefois que la forme traditionnelle des pare-brise reste heureusement acceptée.
On remarquera que les noms composés qui sont des métaphores de syntagmes existants ont généralement un ou deux traits d'union, contrairement aux expressions ayant servi de base pour la création métaphorique : une queue-de-pie « frac » et une queue de pie « la queue d'une pie ». Mais cette règle n’est pas générale ; ainsi, grand-duc « propriétaire d'un grand-duché » présente un trait d’union, alors que grand duc « oiseau de proie » en est exempt.
Cela étant posé, la difficulté d'utilisation du trait d'union concerne essentiellement les noms composés avec un préfixe.
Le trait d'union dans les noms composés savants
On appelle noms composés savants les noms formés avec des éléments grecs ou latins. La question de l'agglutination se pose alors ; le trait d'union est nécessaire quand une succession de deux voyelles provoquerait une erreur de prononciation : ainsi, agro-usine se lit sans difficulté, contrairement à une forme *agrousine, qui poserait de gros problème de compréhension. Le trait d’union est également indispensable si la voyelle finale du premier élément est identique à la voyelle initiale du second élément, comme dans auto-ouvrant. Pour ces raisons, nous avons conçu notre tableau de la façon suivante : la première colonne cite le préfixe, la deuxième indique les cas où la soudure est obligatoire ou usuelle, la troisième, ceux où le trait d’union est obligatoire ou préférable. Certains adjectifs ou adverbes sont cités comme exemples ; les noms suivent évidemment les mêmes règles. Ce tableau est visible en cliquant sur ce lien.
Le trait d'union dans les noms composés d'origine française
Des éléments français entrent également dans la formation de mots composés. Le tableau ci-dessous présente l'utilisation correcte des principaux formants relevant de cette catégorie.
[1] En 1990, le Conseil supérieur de la langue française proposa que l'élément nominal d'un composé soit toujours au singulier lorsque le composé est au singulier et toujours au pluriel lorsque le composé est au pluriel ; on aurait ainsi un pèse-lettre et des pèse-lettres. Toutefois, il nous semble difficile de refuser la graphie traditionnelle un pèse-lettres, car un seul de ces appareils peut en toute logique peser plusieurs plis. Si l’on suit cette proposition, il est permis d’adopter les graphies suivantes : un perce-neige et des perce-neiges, un abat-jour et des abat-jours, alors que neige est généralement non comptable et que plusieurs abat-jour n'abattent jamais qu'un seul jour.
Cette orthographe rectifiée est parfois acceptée par l'Académie, notamment pour pique-assiette, qui préconise le pluriel pique-assiettes.
Cependant, nous conseillons de privilégier les graphies traditionnelles, d'autant plus que les règles anciennes facilitent la compréhension des composés. On sait en effet que l'élément garde est invariable lorsqu'il s'agit d'une forme verbale et variable quand il désigne un humain : des garde-boue mais des gardes-malades. Or, selon la graphie rectifiée, on devrait écrire des garde-malades, à l’instar de garde-meubles ou de garde-manger, alors que l’élément garde dans garde-malade désigne un animé humain.
[2] Ici, nouveau est considéré comme un adverbe. On écrit cependant des nouveaux-venus, des premiers-nés et des derniers-nés.
[5] Même dans le cas de plusieurs rencontres, chaque tête-à-tête ne peut se faire qu'entre deux personnes disposant chacune d'un seul chef.
[6] Grand-croix est féminin quand le nom désigne la dignité, et donc invariable au pluriel dans ce cas. Il est masculin et variable au pluriel lorsque, par métonymie, il nomme le récipiendaire : ces hommes sont des grands-croix.
[7] En ancien français, grand était épicène, c’est-à-dire qu’il avait la même forme au masculin et au féminin, comme sympathique ; on disait donc une grand maison. Puis, durant le XVIe siècle, le e, marque traditionnelle du féminin, fut également utilisé pour grand. Toutefois, un certain nombre de tournures ou de noms féminins composés ont conservé la forme grand (voir notre liste).
[8] Selon l’Académie française, il faut écrire des grand-mères, sans s à grand, mais Le Robert préconise des grands-mères, avec deux s, tandis que Larousse accepte l'une et l'autre formes. L’indécision est aussi de mise pour le pluriel de grand-voile, de grand-tante et de grand-messe.
[9] Le mot composé soudé est un phénomène ancien : on relève, dans un texte de 1273, le nom faimidroit « droit de justice », composé de fai (forme de fais, de faire), de mi « à moi » et de droit « justice ».
[11] On ne verra pas dans le nom pré-salé « mouton engraissé en bord de mer » un composé avec le préfixe pré-, mais un nom formé du nom pré et de l'adjectif salé.
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