Françoise NORE

Françoise NORE

Les Pardonnés : incipit

 

          Un jour délavé mourait sur la Cité, les immeubles de la Blumenkorbstraβe disparaissaient derrière l'écran pluvieux qui tombait sur S*** en un mouvement lent et continu ; le ciel écrasait la ville et les collines alentour de son bouclier gris acier. Au large, la mer, magma noir agité, se dissolvait dans des nuages bleu foncé et gonflés d'eau, fendus ça et là de rares trouées qui laissaient encore apparaître, avant la venue totale de la nuit, le souvenir incertain d'une lueur blême qui tentait de se miroiter sur la crête des vagues aux éclats métalliques.

          Jürgen Todorov poussa la porte de l'immeuble. Un silence de cathédrale enveloppait la cage d'escalier, éclairée par une verrière percée dans le toit. L'homme monta les deux étages, entra dans son appartement, se rendit dans le salon.

          Les volets étaient restés ouverts, des nuées noires étaient entrées dans la pièce et s'étaient posées sur les meubles, sur les objets, on n'y voyait guère, seules se laissaient deviner quelques silhouettes brumeuses, figurines frappées d'éclairs renvoyés par les fenêtres situées de l'autre côté de la Blumenkorbstraβe – on eût dit qu'une vapeur anthracite aux brillances changeantes enveloppait toute chose.

          Jürgen Todorov sortit une bouteille du bar, se servit. Le schnaps enflamma son corps, puis les gorgées suivantes s'écoulèrent en un flux paisible. Il s'assit sur le canapé, s'étira. Les lumières urbaines étincelaient jusqu'ici. Tout n'allait pas si mal, le magazine avait pu sortir, on n'avait pas travaillé pour rien. Il s'étira de nouveau. Son regard fut attiré par un éclat en provenance de la chambre, une brisure de lampadaire qui avait traversé la fenêtre pour s'échouer sur l'un des montants de cuivre du lit. Il tendit le bras vers la bouteille, emplit son verre, se leva.

          Le lit n'avait pas été fait, on y lisait encore l'empreinte de corps en sueur, toute une agitation nocturne qui avait survécu à la journée écoulée ; les draps témoignaient d'une fièvre récente, quelques volées d'heures à peine, tandis que les couvertures, amoncelées en un tas désordonné, formaient d'improbables vagues. Todorov s'assit, but une gorgée, ferma les yeux, revit les courbes de l'invitée de la veille, je la rappellerai, elle m'a fait bander dur.



28/11/2013
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 410 autres membres