Françoise NORE

Françoise NORE

Mathieu Avanzi, Parlez-vous (les) français ?

         Lorsque l’on a une petite faim, rien de plus naturel que de prendre un morceau de pain. Si la baguette n’est pas entamée, on va nécessairement en prélever l’une des extrémités. Et que va-t-on donc grignoter : un croûton ? un quignon ? un croustet’ ? La réponse est simple : cela dépend de la région où l’on habite, comme nous l’enseigne le dernier ouvrage de notre collègue Mathieu Avanzi, Parlez-vous (les) français ?

 

 

        Linguiste et enseignant-chercheur à la Sorbonne, Mathieu Avanzi publie un ouvrage tout à fait passionnant[1], fruit d’une recherche commencée il y a maintenant plusieurs années. Ce spécialiste des français régionaux propose dans ce livre, sous forme de cartes commentées, les résultats d’enquêtes conduites sur l’internet : il s’agit d’identifier d’une part des mots du français standard utilisés, dans telle ou telle province, avec des sens particuliers, d’autre part des mots spécifiques des différentes zones et régions de la francophonie d’Europe (France, Belgique et Suisse), que ce soient des mots dialectaux francisés ou des mots empruntés aux langues régionales (alsacien, basque, breton, etc.) et employés en français sous leur forme originale.

 

         Indéniablement utile pour les lexicologues, ce travail l’est aussi pour le lecteur non spécialiste mais intéressé par ce sujet, qui découvre nombre de particularismes lexicaux. Car ces régionalismes sont nombreux, et toutes les régions françaises ont leurs mots et tournures bien à elles, ce qu’illustre ce livre.

 

 

Ça t’enfade, de faire quatre-heures ?

 

         Comme on peut le constater au fil des pages, les mots et expressions régionaux sont de plusieurs types. Tout d’abord, il existe des emplois particuliers de mots français standard : en Franche-Comté et dans les départements limitrophes, Il veut pleuvoir a pour sens « Il va pleuvoir », tandis que, dans les Landes et alentour, on peut être salué par un vibrant Adieu ! qui signifie « Bonjour ». Nos régions ont aussi francisé des mots issus de langues régionales ; ainsi, l’habitant du Sud-Ouest mettra un interlocuteur en garde de ne pas s’escaner, c’est-à-dire de ne pas « avaler de travers ». Enfin, d’autres mots n’ont pas une physionomie française, puisqu’ils viennent de langues régionales : un Alsacien aborde un ami en lui demandant : « Ça geht’s ? », ce qui signifie « ça va ? », et le Breton s’éloignera après avoir lancé un joyeux Kenavo ! pour prendre congé.

 

         Richement illustré de dessins à presque toutes les pages, cet ouvrage nous offre donc un aperçu des régionalismes en 2019, et cette précision de la date n’est pas anodine, car les habitudes langagières évoluent : ces mots qui, au moment de la publication de ce livre, n’ont pas franchi les limites de leurs provinces, se diffuseront peut-être dans toute la France dans les années à venir. Il n’est que de prendre l’exemple du film Bienvenue chez les Chtis qui avait fait découvrir, il y a douze ans, plusieurs particularismes lexicaux du Nord – Pas-de-Calais, et qui avait contribué à populariser le nom Biloute : Salut, Biloute, ça va ? De la même façon, le nom chocolatine « pain au chocolat », lequel était jusqu’à il y a peu exclusivement compris et utilisé dans le Sud-Ouest, devient lentement intelligible dans tout l’Hexagone. On peut également citer l’adverbe degun « personne », familier aux habitants du Sud-Est et qui, à la faveur de la dernière campagne pour l’élection présidentielle, a été propagé dans les médias. Ce phénomène porte un nom ; il s’agit de la dérégionalisation : un mot sort de son aire d’origine, est compris et employé ailleurs. De ce fait, ce n’est plus un régionalisme.

 

 

Un livre qui n’a pas été conçu a bisto de nas

 

         La construction de cet ouvrage n’a en effet pas été faite « à vue de nez » : si le contenu est souvent réjouissant, car l'humour n'en est pas absent, la forme est rigoureuse. Les résultats des enquêtes sont reportés sur des cartes, à l’aide d’un code de couleurs : une couleur indique l’aire d’utilisation d’un mot ou d’une expression, tandis qu’une autre matérialise les zones où ceux-ci sont inconnus. Des notes étymologiques viennent compléter ces données. Au nombre de 92, les cartes sont réparties en six sections thématiques : En temps et en heure (10 cartes) ; Humeurs et sentiments (16 cartes) ; Politesse oblige (8 cartes) ; La pluie et le beau temps (14 cartes) ; À table ! (13 cartes) ; Notre quotidien (16 cartes). Ces cartes sont de deux types : celles qui présentent un seul mot ou une seule expression et qui montrent la ou les régions où ils sont connus, comme avoir la cagne « avoir la flemme » ; celles qui présentent les différents mots employés pour désigner une même chose, telle la carte des appellations variées pour le pichet, aussi dénommé broc, carafe, cruche, pot d’eau ou pot à eau, selon l’endroit où l’on se trouve. Rigueur dans la conception et informations variées, Parlez-vous (les) français ? satisfera tout curieux des régionalismes, et nous en recommandons chaudement l'acquisition.

 

         Notons, en conclusion, que le lecteur intéressé par ces faits lexicaux consultera avec profit le site de M. Avanzi ; il pourra s’y informer, naturellement, mais aussi participer aux enquêtes dont nous avons parlé au début de cet article.

 

 

 

 

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[1]  Mathieu Avanzi, Parlez-vous (les) français ? Armand Colin, octobre 2019.



18/01/2020
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