Françoise NORE

Françoise NORE

Politiquement correct


Écriture et langage inclusifs

          Tout comme la féminisation, le langage dit épicène, inclusif ou neutre et l’écriture inclusive visent à combattre ce qui est jugé discriminant et sexiste dans la langue française et à promouvoir une façon de parler épurée de tout relent misogyne ; selon les tenants de cette nouvelle façon de s’exprimer, le français, en raison notamment de certaines de ses règles, influencerait les mentalités[1],et favoriserait les comportements machistes.

 

          Pour juger sainement de cette question, il convient de prendre en compte quelques éléments de linguistique historique. Le latin, langue-mère du français, connaissait trois genres grammaticaux : le masculin, le féminin et le neutre. Dès le latin vulgaire, c’est-à-dire vers le IIe siècle, le genre neutre, déjà en sérieux recul, fut absorbé par le masculin. Il resta alors deux genres grammaticaux dans l’ancien français naissant, le masculin et le féminin. Il n’est donc pas abusif, lorsque des mots des deux genres sont employés dans un même syntagme, de considérer que l’accord dit au masculin correspond en réalité à un neutre, puisque, à date ancienne, le masculin et le neutre latins avaient fusionné pour produire des formes de déclinaison identiques. Pourtant, cette présence du neutre en français ne convainc pas certains locuteurs francophones, qui considèrent qu’une phrase comme Ils sont venus est exclusive, car des personnes des deux sexes peuvent être concernées ; selon leur analyse, le pronom ils n’est pas un neutre, il est strictement masculin et dissimule une éventuelle présence féminine.

 

 

Langage épicène, langue manipulée

 

          Cette remise en cause des règles de grammaire s’accompagne de la promotion d’un lexique particulier : il conviendrait d’employer un vocabulaire qui, non seulement n’occulte pas la présence de femmes dans un énoncé, mais se montre, de plus, favorable aux personnes dites de genre non binaire, c’est-à-dire aux personnes non cisgenres, celles qui ne se considèrent ni hommes ni femmes, selon la distinction traditionnelle. C’est ainsi qu’a pu naître l’idée d’un langage épicène qui vise à effacer toute référence au sexe de la ou des personnes dont on parle.

 

          Les adversaires de l’usage courant du français promeuvent donc aujourd’hui de nouvelles façons de s’exprimer. À côté de la féminisation et du bannissement de certaines expressions[2] sont ainsi créées différentes formulations, censées favoriser ce langage épicène ou neutre. La raison d’être de ces innovations est la suivante : comme cela vient d’être dit, il convient de n’exclure personne en raison de son sexe, mais ce n’est pas le seul aspect qui est pris en considération ; l’âge, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle ou un éventuel particularisme physique ne doivent pas apparaître dans des formulations jugées discriminantes. Le langage usuel est donc exclusif : par exemple, le syntagme les malvoyants est exclusif, car il réduit les personnes en question au seul fait d’être malvoyantes ; il conviendrait de dire les personnes malvoyantes, tournure dans laquelle l’adjectif indique une caractéristique parmi d’autres de ces personnes, qui ne sont donc pas désignées par un nom les enfermant dans leur infirmité.

 

          Les processus inventés pour combattre le sexisme reproché à la langue française sont les suivants :

 

  • la préférence donnée à des mots épicènes : un nom comme secrétaire est favorisé, car sa forme n’indique pas de genre grammatical, contrairement à salariés, forme de masculin employée pour désigner un groupe comprenant peut-être des personnes des deux sexes. De la même façon, on préférera élèves du lycée à lycéens, substantif masculin, donc exclusif ;

 

  •  le recours à la néologie : il est des auteurs, généralement des femmes, qui créent des mots dont la forme ne peut permettre de déterminer le sexe de la personne dont on parle. Ainsi a pu naître le nom autaire « auteur homme ou femme », attesté sur le blog d’une personne qui se dit elle-même autaire et traductaire ;

 

  •  l’utilisation concomitante des deux genres grammaticaux dans un même syntagme : les étudiantes et les étudiants. De la même façon, au lieu de dire Ils arrivent tôt, il conviendrait de dire Elles et ils arrivent tôt.

 

          Aussi séduisantes que ces propositions peuvent paraître, elles se heurtent à divers écueils :

 

  • si le nom secrétaire évite d’employer un substantif masculin comme assistant ou collaborateur, il ne peut être utilisé sans article, sauf lorsque, à la suite du nom d’une personne, il joue le rôle de titre ; l’article indique alors le sexe, qui ne peut être effacé. Par ailleurs, tous les noms masculins ne peuvent être remplacés par un nom épicène : élèves du lycée peut commuter avec lycéens, mais on ne peut substituer élèves de l’université à étudiants, car élève ne s’emploie pas pour le troisième cycle. En outre, la locution élèves du lycée ne paraît guère naturelle, en raison de l’existence même de lycéens, plus court et plus usuel. L’emploi de noms épicènes rencontre donc des limites, que l’on ne peut contourner ;

 

  • la formation de néologismes répond à un besoin lexical précis et bien circonscrit : un néologisme est acceptable et accepté lorsqu’il remplit une case sémantique vide. Or, auteur (et son féminin autrice, ancien en français et réactivé depuis peu) et traducteur (ou traductrice) existent en français. De ce fait, la création des formes autaire et traductaire, si elle satisfait le souhait de certains d’avoir des noms épicènes à disposition, ne répond pas à un besoin de la langue. Ce sont donc des néologismes abusifs ;

 

  • enfin, à côté des remarques purement linguistiques, les questions d’ordre pragmatique ne peuvent être éludées : une tournure comme les étudiantes et les étudiants alourdit considérablement un texte, et la brièveté de la formulation les étudiants est préférable. Par ailleurs, une phrase comme Elles et ils arrivent tôt est inacceptable d’un point de vue grammatical ; lorsque deux pronoms de troisième personne sont sujets, le pronom masculin doit prendre sa forme de complément d’objet indirect, et l’on doit dire Lui et elle arrivent tôt ou Eux et elles arrivent tôt. Au demeurant, il semble plus naturel de dire, tout simplement, Ils arrivent tôt.

 

 

Écriture inclusive, écriture illisible

 

          À côté du langage épicène, qui vise à n’exclure personne d’un énoncé en raison de son sexe, l’écriture inclusive s’attache particulièrement à indiquer la présence potentielle ou effective d’une personne de sexe féminin dans un syntagme. Pour ce faire, plusieurs codes graphiques sont proposés, notamment en ce qui concerne les noms dont le féminin s’obtient par le seul ajout d’un e ou par le doublement de la dernière consonne et l’ajout d’un e :

 

  • l’emploi de parenthèses : un(e) musicien(ne) ;

 

  • l’utilisation d’une barre oblique : un/e musicien/ne ;

 

  • le recours à des majuscules : unE musicienNE ;

 

  • l’usage du trait d’union : un-e musicien-ne ;

 

  • le point médian : un.e musicien.ne.

 

          Si, de prime abord, ces suggestions peuvent sembler faciles d’utilisation, elles soulèvent en réalité plusieurs problèmes, notamment lorsqu’il s’agit d’indiquer un pluriel :

 

  • s’il est permis d’écrire un(e) musicien(ne), les formes incluant un pluriel possible comme le(la)(s) musicien(ne)(s) et un(e)(des) musicien(ne)(s) forment des attelages d’une longueur démesurée, qui alourdissent inutilement un texte et rendent la compréhension malaisée ;

 

  • il en va de même pour la barre oblique ; outre le fait que l’on peut y voir une séparation symbolique entre les hommes et les femmes, la mise au pluriel est difficile, puisqu’elle aboutit à un syntagme comme un/e/des musiciens/ne/s, également trop long ;

 

  • le mélange de minuscules et de majuscules contrevient aux règles typographiques du français, qui refuse l’emploi de majuscules à l’intérieur ou à la fin d’un mot ;

 

  • le trait d’union pose lui aussi de redoutables problèmes de lisibilité, car la forme du pluriel donnerait, par exemple, la séquence suivante : un-e-des musicien-ne-s ;

 

  • enfin, le point médian n’offre pas non plus de solution satisfaisante, car l’emploi concomitant du singulier et du pluriel produirait un syntagme comme un.e musicien.ne ou des musicien.ne.s.

 

          Comme cela vient d’être démontré, l’emploi de ces conventions pour indiquer à la fois un référent masculin et un référent féminin se heurte à des difficultés lors du passage au pluriel, et, à plus forte raison, lorsqu’un texte doit évoquer la possibilité simultanée d’un ou de plusieurs référents, comme dans le dernier exemple ci-dessus. Et la longueur de ces séquences ne plaide pas en faveur de leur adoption.

 

          En outre, ces obstacles sont accentués lorsqu’il s’agit de féminiser des noms qui ne forment pas leur féminin par l’ajout d’un -e ou par le doublement de la consonne finale, mais par la modification de leur suffixe, ce qui aboutit à des formes comme ambassadeur.rice.s ou chanteur/euse/s. Naturellement, on évitera aussi, comme cela est pourtant préconisé ici ou là, de créer des monstres lexicaux qui mélangent les deux genres, tel agriculteurice(s), présent dans quelques pages internet.

 

 

Refuser les diktats militants

 

          Comme nous l’avons vu, ce militantisme ostentatoire refuse de prendre en compte la linguistique historique et les explications logiques qui lui sont opposées, notamment au sujet des pronoms neutres. Face à ce parti-pris qui ne s’appuie sur aucune réflexion linguistique, le simple bon sens ne peut que rejeter ce qui ressemble fort à des amusements de salon, ces artifices contraires aux règles et lourds, comme nous l’avons démontré, mais également inemployables à l’oral. Il convient donc de raison garder et de ne pas faire de procès au français, car une langue n’est pas un ennemi, bien au contraire ; même imparfaite, elle reste le meilleur outil pour communiquer.

 

 



[1]  En cela, ce sont des partisans de l’hypothèse de Sapir-Whorf, selon laquelle notre perception du monde dépendrait du langage que nous utilisons.

 

[2]  La locution droits humains est préférée à droits de l’Homme car elle n’est pas sexuée, puisqu’elle n’emploie pas le nom homme. Or, outre le fait que droits humains est un calque de l’anglais human rights, droits humains trahit une profonde méconnaissance du français : lorsqu’il s’écrit avec un h majuscule, Homme ne signifie pas « personne de sexe masculin », mais « être humain en général ».


03/01/2021
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Féminisation des noms

          La féminisation est un processus qui vise à utiliser des formes féminines là où les règles traditionnelles du français demandent l’emploi de formes masculines, ce qui rend les femmes invisibles : dans une phrase comme Bonjour à tous, le pronom tous peut référer à des personnes des deux sexes, et tous doit alors être analysé comme une forme de neutre.

 

          Cette volonté de féminisation n’est pas récente : inspirées par le féminisme américain qui menait campagne contre une dite hégémonie masculine dans la langue anglaise, les féministes françaises obtinrent dès 1984 la création d’une commission de terminologie qui fut chargée de la création d'une terminologie paritaire. L'initiative n'eut pas de suite, mais la charge fut de nouveau sonnée en 1998, et l'année 1999 vit la naissance d'un document intitulé Femme, j'écris ton nom…, avec pour sous-titre la mention suivante : Guide d'aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions. Ce document, signé par le CNRS, mêle références linguistiques et philologiques et professions de foi féministes. La rédaction en fut dirigée par Bernard Cerquiglini, linguiste reconnu de ses pairs, notamment épaulé dans sa tâche par quatre ingénieures de recherche ou d'études.

 

          Les premières pages de ce document qui, précisons-le, sert aujourd'hui encore de texte de référence, font entrevoir la tonalité de l'ensemble : il est inadmissible que des noms de métiers ou d'activités diverses n'aient pas d'équivalent lexical féminin. L'ouvrage énumère donc les différentes techniques linguistiques de féminisation et propose, en regard de leur étymon masculin, plusieurs centaines de noms de métiers ou de fonctions féminisés. Tirés de ce guide, les exemples qui suivent montrent les limites de ce processus, car de très nombreux noms masculins de métiers désignent, sous leur forme féminine, des objets du quotidien[1] : aumônière, barboteuse, bétonnière, cafetière, calculatrice, calorifugeuse, capucine, carrière, centrifugeuse, chevalière, crêpière, débroussailleuse, dépanneuse, essoreuse, étagère, fourrière, glacière, jardinière, lessiveuse, liseuse, meuleuse, perceuse, perforatrice, permanente, plombière, ponceuse, portière, poudrière, relieuse, rôtisseuse, sableuse, saleuse, saucière, tireuse, tondeuse, tourbière, tournante, veilleuse, verrière[2]. Il est permis de se demander si une femme aimerait véritablement être désignée par l’un de ces noms.

 

 

Un peu d'Histoire et de morphosyntaxe

 

          Afin d’avoir une vision scientifique et raisonnée de la question de la féminisation, il convient d’examiner les façons selon lesquelles le français féminise ses noms.

 

 

          Certains noms empruntés au latin ont été francisés. Les noms latins terminés par -tor avaient un féminin terminé par -trix ; ainsi existait-il le couple auctor / auctrix. Auctor a été adapté en auteur, et auctrix a fourni, après plusieurs formes, le nom autrice. Employé en moyen français, autrice avait pour ainsi dire disparu du français, mais il a été réactivé vers la fin du XXe siècle. D’un point de vue linguistique, ce féminin est satisfaisant.

 

         En dehors des noms empruntés au latin, le français forme ses féminins à partir des formes masculines françaises existantes. En ce qui concerne les masculins terminés par -eur, le féminin prend le suffixe -euse s’il existe un verbe correspondant : acheter, acheteur, acheteuse. En l’absence de verbe correspondant, c’est le féminin -trice qui est employé : instituteur, institutrice. Les noms terminés par -er, -ien et -ier, voient ces suffixes remplacés par -ère, -ienne et -ière pour former leurs féminins : bouchère, diététicienne, charcutière.

 

          Les noms épicènes, c'est-à-dire ceux qui ont la même forme au masculin et au féminin et qui, en général, se terminent par un -e, peuvent être théoriquement des deux genres ; d'un point de vue formel ou sémantique, rien ne s'oppose à ce que l'on dise le juge et la juge. Le français comprend quelques dizaines de noms de cette sorte, notamment acrobate, artiste, concierge, élève, journaliste, philosophe ou secrétaire. On peut ajouter les noms de spécialités médicales qui se terminent également par un -e : anesthésiste, ophtalmologue, psychiatre, ainsi que les noms d'instrumentistes : bassiste, flûtiste, organiste. Le problème surgit lorsque le féminin existe déjà, mais avec un autre sens : si le barde est un poète celte, la barde est une tranche de lard ; le manœuvre est un ouvrier sans qualification, mais la manœuvre est une action. La féminisation doit donc se faire avec prudence. Une autre difficulté est soulevée par d’autres noms terminés par un -e mais qui ne nomment pas un métier ou une fonction : si la polémiste est passé dans l’usage, la génie ou la membre sont impossibles. On peut conclure de tous ces faits que, mis à part quelques cas, la féminisation d’un nom de métier ou d’activité épicène terminé par un e se fait assez aisément.

 

 

         Quelques rares noms épicènes se terminent par une autre lettre que par -e, comme enfant. D’autres noms épicènes acceptent également la féminisation, notamment ceux qui se terminent par un o, comme mécano. Mais, dans ce cas aussi, il convient de féminiser avec circonspection : le radio n’a pas forcément pour collègue féminine la radio. Comme pour barde et manœuvre, la question sémantique ne peut être éludée.

 

 

         Enfin, il est un aspect qui est rarement étudié ; il s’agit de l’euphonie. Si la magistrate ou la présidente semblent être utilisés sans difficultés, la préfète présente des sonorités diminutives qui peuvent lui faire préférer la femme préfet ou, plus simplement, le préfet, le contexte pouvant lever l’ambiguïté qui pèserait sur le sexe de la personne en question. De la même façon, des formes comme une assassine, une bébé, une imposteuse ou une témoine nous paraissent peu souhaitables. Il convient donc, dans le cas des noms toujours masculins, de leur conserver ce genre, quel que soit le sexe de la personne qu’ils désignent.

 

 

 

Un militantisme inapproprié

 

          Les noms français actuels masculins terminés par -eur et qui n’ont pas, jusqu’à présent, de féminin, ont été outrageusement féminisés avec une finale -eure, qui viole les règles du français : aucun nom masculin terminé par -eur (à ne pas confondre avec les noms terminés par -teur) n’a, historiquement, de féminin terminé par -eure[3]. Souvent est avancé l’exemple des noms prieure et supérieure ; or, ces noms n’en sont pas véritablement, puisque ce sont des adjectifs employés comme noms. Ils ne peuvent donc être pris pour exemple afin de justifier les formes contemporaines et fautives que sont notamment professeure, auteure ou procureure : non seulement ces noms violent une règle du français, mais, de plus, ne procédant pas d’une évolution naturelle de la langue, ils ressortissent à une féminisation forcée, voulue par certains groupes de pression, dont la méconnaissance des processus dérivationnels est flagrante ; il est en effet aisé de constater que cette féminisation est totalement irrespectueuse des règles morphologiques.

 

 

        S'il est vrai qu'une langue vivante évolue au fil du temps, il faut garder en mémoire le fait que cette évolution doit se faire selon un mouvement spontané et non contraint, comme l'est celui que tentent d’imposer les bien-pensants contemporains. Les féministes et leurs suppôts sont peut-être des ignorants de l'histoire des langues, mais ils ne peuvent balayer cette vérité : c'est cette évolution naturelle qui a seule valeur linguistique, et non une évolution forcée, qui n'est autre qu’une application au langage du totalitarisme de la pensée unique. Toute modification imposée est inacceptable, car c'est la langue qui décide, son histoire et ses mécanismes internes.

 

          Cela étant, le français peut être capricieux et s’amuser. Comme s’il souhaitait adresser un clin d’œil malicieux à ceux (et celles !) qui cherchent à lui dicter leur loi, il lui arrive de se rire des classifications. Il existe ainsi quelques noms masculins qui sont utilisés uniquement pour nommer des femmes, notamment bas-bleu, laideron ou souillon. On aura remarqué que ces noms ne sont pas particulièrement laudatifs, mais c’est ainsi. Le français compte également quelques dizaines de noms de personnes qui sont toujours du genre féminin, même lorsqu’ils désignent des hommes ; on peut citer altesse, brute, célébrité, idole, personnalité, vedette ou victime.

 

          Les tenants de la féminisation font feu de tout bois pour obtenir des noms qui satisfont leur idéologie, mais cette démarche ne respecte pas toujours ni la linguistique, ni les usages, ni le simple bon sens. En ce qui concerne les noms de personnes, il convient d’être extrêmement prudent ; comme on l’a vu un peu plus haut, une féminisation systématique des noms de métiers aboutit à des créations pour le moins réjouissantes : le cafetier aurait pour consœur la cafetière, le glacier embaucherait une glacière, et le permanent d’un parti politique ou d’un syndicat serait assis à côté d’une permanente. Ces féminisations sans discernement affectent également des noms qui ne désignent pas des professions : un gourmet aurait ainsi une gourmette à sa table, tandis qu’un pèlerin cheminerait à côté d’une pèlerine.

 

          Le procès en sorcellerie qui est fait au français, langue machiste paraît-il, est une action provenant de personnes dont la méconnaissance de la linguistique et de ses règles est flagrante. Naturellement, il convient de ne pas se soumettre aux phénomènes de mode, mais de respecter la langue et ses mécanismes.

 



[1]  On remarquera que certains métiers cités par ce document ne sont pas des plus fréquents au XXIe siècle.

 

[2]  Ajoutons à cette liste une série de noms bien connue qui, depuis maintenant un certain nombre d’années, fait fortune sur les réseaux sociaux : féminins de coureur, entraîneur et professionnel, les noms coureuse, entraîneuse et professionnelle sont des termes aux connotations redoutables.

 

[3]  Inventeure est attesté durant la seconde moitié du XVe siècle ; il fut ensuite remplacé par inventeuse, qui correspond au schéma montré plus haut : inventer, inventeur, inventeuse. Au demeurant, inventeure est le seul nom féminin attesté avec une finale en -eure, et son utilisation fut marginale.


04/12/2020
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Introduction au politiquement correct

Cela fait maintenant plusieurs décennies que l'on parle du langage politiquement correct – pis, que l'on veut que nous nous exprimions ainsi. Mais avant d'examiner les ravages linguistiques induits par ce mode d'expression qui peut être des plus obscurs, faisons d'emblée remarquer que la traduction française politiquement correct, calque de l'anglo-américain politically correct (ou political correctness, selon les occurrences), est sujette à caution. En anglais, politically renvoie à policy « doctrine » ou « pratique », et à politics « qui concerne les affaires publiques ». Correct, pour sa part, devrait être traduit par « exact » et non par « conforme à la norme », selon le sens de l'adjectif français correct. On constate ainsi que le sens originel anglais n'a que peu en commun avec la signification donnée à cette formulation en français, à savoir celle de « tournure bienséante ».

 

De tout cela, il ressort que politiquement correct est une traduction... politiquement correcte de politically correct, puisque l'on n'ose pas parler de tournure bienséante, car cela reviendrait à porter un jugement, ce dont le politiquement correct ne veut à aucun prix. En résumé, parler politiquement correct, c'est faire usage de la langue de bois : il s'agit d'éviter des mots censés être déplaisants, ces mots désagréables devenant de facto des tabous. Ces termes jugés trop crus sont ainsi remplacés par des expressions au contenu sémantique censé être valorisant, ou moins stigmatisant. Il résulte de tout cela un alourdissement des phrases, dû à des circonvolutions langagières interminables, comme le nain, devenu personne de petite taille.

 

 

 

À quelle heure passe la technicienne de surface ?

 

Nous venons de dire que certains mots sont frappés d'anathème. Par exemple, tout le monde devrait avoir remarqué que la caissière a été remplacée par l'hôtesse de caisse. La tâche en est-elle plus agréable ? Et notre hôtesse de caisse est probablement cousine de l'hôtesse de vente, qui a quitté son poste ingrat de vendeuse. On souhaite à ces dames un salaire augmenté à proportion du nombre de syllabes gagnées par les nouvelles dénominations de leurs emplois.

 

Cela peut prêter à sourire, mais ce processus n'est rien moins que la volonté affichée de gommer du vocabulaire usuel des mots anciens qui disaient les choses sobrement mais efficacement. On ne peut que s'interroger sur les raisons pour lesquelles ces mots d'avant, comme caissière et vendeuse, sont ressentis comme insultants. Rappelons-nous également l'époque désormais révolue où des représentants sonnaient aux portes afin de proposer des encyclopédies. Le représentant n'existe plus ; il a été remplacé par le VRP, le voyageur représentant placier ; outre qu'il est mystérieux, notamment au moment de son introduction dans le langage, un sigle fait toujours très chic. Mais tout passe, tout lasse, et notre VRP devint finalement un commercial. Notons que ses tâches sont strictement identiques à celles de son grand-père représentant, mais le commercial contemporain ne saurait user de cette appellation poussiéreuse.

 

Nous n'avons cité que trois exemples, mais les appellations politiquement correctes de métiers sont légion ; on peut notamment évoquer les dénominations que sont technicienne de surface « femme de ménage », gardien « concierge », professeur des écoles « instituteur » ou encore exploitant agricole « paysan », la liste est longue et loin d'être close. Au demeurant, il semble que ces changements de noms de métiers concernent uniquement des professions peu valorisantes ; il s'agit, en quelque sorte, de hausser le niveau de considération que l'on a ou que l'on pourrait avoir envers tel corps de métier. Même si cela ne change, bien sûr, rien aux tâches accomplies par les uns et par les autres.

 

 

Masquer les infirmités

 

Cette langue de bois vise également à ne pas nommer directement les infirmités ou les problèmes liés au corps ou à la santé. Or, bien souvent, les euphémismes ainsi créés présentent un sens ambigu, puisqu'ils désignent des personnes différentes. Ainsi, quand on entend parler aujourd'hui d'un malvoyant, on pense que l'on évoque une personne dont la vue est très basse. Or, malvoyant est certes utilisé dans ce sens, mais aussi pour remplacer aveugle ; de ce fait, pour éviter d'employer un mot jugé connoté défavorablement, on choisit un mot imprécis, qui nomme deux réalités certes proches, mais différentes. De la même façon, un malentendant contemporain devrait uniquement percevoir quelques rares sons, si l'on analyse le sens des éléments qui composent ce nom. Or, ce n'est pas toujours le cas : un malentendant peut aussi être sourd. Malvoyant et malentendant sont peut-être moins directs, mais ils ne traduisent pas la réalité, car celle-ci n'est pas unique, mais multiple.

 

Dans le même ordre d'idées, il semble devenu difficile, sinon impossible, de dire de quelqu'un qu'il est infirme. Le politiquement correct veut remplacer ce nom simple et clair par l'appellation à rallonge de personne à mobilité réduite. Or, une personne à mobilité réduite n'est pas systématiquement une personne condamnée au fauteuil roulant ; ce peut être quelqu'un qui se déplace, avec difficulté il est vrai, mais qui peut recourir à d'autres accessoires, et marcher. Le politiquement correct veut arrondir les angles ; cependant, son imprécision brouille la compréhension. Et on constate que cette façon de parler dépasse les seules questions linguistiques, puisqu'elle suscite l'interrogation sur les tabous lexicaux. Ces derniers ont toujours existé, mais tenter de les vaincre ne serait-il pas une évolution souhaitable ?

 


28/05/2015
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