Tics de langage et modes lexicales
V - W - Y - Z
Variable d'ajustement
Empruntée au domaine des mathématiques, l’expression variable d’ajustement désigne une ressource dont on adapte l’utilisation aux circonstances. Locution néfaste lorsqu’elle se rapporte à l’emploi car, en cas de difficultés, le personnel d'une entreprise devient la variable d'ajustement. C'est-à-dire que les salariés, ces fameuses ressources humaines que l’on pourrait en l’occurrence renommer les sacrifiés, se font indiquer le chemin vers la sortie. Et cela est invariable.
Véritable
Adjectif emphatique employé pour insister sur un événement malheureux ou sur un fait regrettable, véritable a supplanté vrai, trop petit pour l’emporter. Les médias font une surconsommation de véritable, car il leur permet de dramatiser une information, ce qui est extrêmement bien vu, notamment par les directeurs des chaînes d’information en continu. Ami journaliste stagiaire, si tu désires signer un contrat d’embauche, voici quelques exemples dont tu ferais bien de t’inspirer : cette pandémie est une véritable catastrophe pour l’économie ; la malheureuse victime gisait dans une véritable mare de sang ; le chômage est un véritable drame. De rien.
Visibilité
Équivalent snob mais fautif de clarté, puisque une chose visible peut ne pas être claire, au sens propre comme au sens figuré. En outre, visibilité est souvent utilisé à la place de noms plus précis, comme importance, notoriété, popularité, présence, publicité, renommée, réputation, selon le contexte.
Visionner
On ne parlera jamais assez du prestige dont jouit le vocabulaire technique. Ainsi, alors que les gens normaux se contentent de regarder des films, les péroreurs préfèrent les visionner, ignorant que ce verbe doit être réservé à l’examen technique d’un film. Ajoutons que visionner un film est un joli pléonasme, mais cela ne semble pas chagriner les bavards.
Visuel
Une des caractéristiques du parler à la mode consiste, bien souvent, à employer des mots fourre-tout : par paresse, on ne recherche pas le mot adéquat (voir l’article Visibilité plus haut). C’est ainsi que le monde de la communication a instauré le visuel, objet magique protéiforme qui peut désigner, selon les cas, une illustration, une photo, un dessin, une affiche, la liste est ouverte, et le propos gagnerait en précision. Las, le vague visuel plaît beaucoup, car l’employer donne l’air d’être un expert.
Voilà
De nos jours, il semble bien difficile de trouver une conclusion à son propos. Aussi certains recourent-ils à ce voilà peu élégant, qui joue en quelque sorte un rôle de point final oral ; ressent-on une nécessité absolue d’indiquer que l’on a fini de s’exprimer ? Apparemment, oui. Donc, si l’on veut parler contemporain, voici la façon de composer ses phrases : commencer avec en fait, glisser du coup quelque part, et conclure à l’aide de voilà. Entre ces trois expressions, on peut insérer ce que l’on veut. En fait, ce n’est pas compliqué de parler, et du coup tout le monde comprend, voilà.
Waou !
Interjection adaptée de l'anglais wow, également graphiée waouh. Donne l'impression que son interlocuteur aboie.
Ya pas photo !
Expression venue en droite ligne du monde des courses, où l'on doit parfois prendre une photo de la ligne d'arrivée afin d’attribuer correctement leurs places aux chevaux. Donc, quand il n'y a pas photo, c'est qu'il n'y a aucun doute ou aucune ambiguïté. Mais ces tournures-là sont peut-être trop compliquées, sait-on jamais.
Zone de confort
Probable traduction de l’anglais comfort zone et employée dans le domaine de la psychologie, zone de confort signifie « situation dans laquelle une personne se sent bien ». Est-ce étonnant, cette expression est sortie de son domaine et a envahi la parlote d’un certain nombre d’intervenants, notamment ceux qui sont abonnés aux plateaux de télévision et qui doivent souffrir d’un mal de gorge permanent, tant ils se gargarisent de cette locution. Nimbe le propos d’un vernis scientifique, ce qui fait toujours prestigieux, comme chacun sait.
T - U
Taiseux
Belgicisme adoré des médias et des bobos, voire des médias bobos, que ces bavards emploient à satiété pour désigner des gens silencieux ou discrets et qu’ils seraient parfois bien inspirés d'imiter.
Tendance
Synonyme contemporain de à la mode, lequel n'est plus à la mode, c'est un comble. Le consommateur moutonnier se doit d’acheter ce qui est tendance, sous peine d'être accablé par les lazzis de son entourage.
Territoire
Pour les gens qui parlent simplement, territoire signifie « étendue géographique plus ou moins vaste » ; on parle parfois, avec justesse, du territoire national pour évoquer la France. Et l’emploi de territoire devrait s’arrêter là ; il convient en effet de ne pas copier les beaux parleurs qui font de territoire un synonyme de département ou de région, notamment sur les chaînes d’information en continu, lieu de perdition du bon français. Ajoutons que territoire n’est pas non plus un synonyme de province, lequel n’en finit pas, le pauvre, d’être honni : après avoir subi l’affront de se faire remplacer par région, il continue d’être méprisé, au profit cette fois du contemporain territoire.
Tonifier
Aucune esthéticienne ne dira jamais à sa cliente qu'elle doit se raffermir, car cela sous-entendrait que cette dernière affiche diverses mollesses bien disgracieuses, et ce genre d’allusion n’est guère recommandé pour la bonne marche d’un commerce. C’est pourquoi les professionnelles des instituts (on ne dit plus salon de beauté, c’est ringard) suggèrent aux pauvres dames affectées par le relâchement des tissus de se tonifier. En outre, tonifier a un petit côté médical, ce qui fait expert.
Tout à fait
Comme bien d’autres adverbes, tout à fait ressortit à cette série de mots et expressions à rallonge que certains utilisent à la place du trop petit oui. Rappelons que le vrai sens de tout à fait est « entièrement », ce qui est légèrement différent. Légèrement.
Tout ça
Équivalent en vogue de etc., parfois graphié toussa dans la presse, lorsque le rédacteur veut manifester une prise de distance avec le sujet traité ou créer une sorte de connivence avec le lecteur. A tout de même un petit côté désinvolte.
Trop
Exagération contemporaine qui remplace très ou extrêmement, qui sont pourtant tout à fait aptes à remplir leur rôle. Généralement employé par les plus jeunes, qui aiment bien partager leurs enthousiasmes. Mais lorsque ce sont des adultes qui s’expriment ainsi, ce n’est pas trop bien.
Tuerie
Étonnant : tuerie est devenu extrêmement positif : dire de quelque chose qu'il s'agit d'une tuerie est un grand compliment. On reste toutefois songeur : comment en est-on passé de l'idée de « massacre » à celle de « chose très agréable » ? Vivrait-on dans une société composée de grands sadiques ?
Ultime
On ne dira jamais assez combien le monde enchanté de la publicité aime modifier le sens des mots pour mettre en valeur les produits vantés. C’est ainsi que l’adjectif ultime, qui signifie normalement « dernier », « extrême » ou « final », a pris le sens de « meilleur, suprême », probablement par influence de l’anglais. Au demeurant, cela peut conduire à de redoutables ambiguïtés : si l’on entend parler du disque ultime d’un chanteur, doit-on en conclure que le pauvre gars n’en a plus pour longtemps ?
Univers
Avant, pour évoquer la personnalité de quelqu’un, ses goûts, voire ses créations, on parlait de son monde. Cela a dû paraître trop étriqué ou trop banal, puisque apparut le renversant univers. Ah, le joli mot, le joli mot long.
S
Sciences de l'éducation
Être dans les sciences, ce n’est pas rien. Aussi la pédagogie a-t-elle pris le nom à rallonge de sciences de l'éducation. Elle n'est pas la seule, d’ailleurs ; la linguistique a elle-même pris le nom pompier de sciences du langage.
Se rapprocher
Amusant : on ne fait plus de compte rendu, on produit un retour. De la même façon, on n’entre plus en contact avec quelqu’un, on s’en rapproche. L’époque est dynamique, comme les plages. Ce doit être dans l’air du temps.
Se la péter
Tournure peu élégante, qui signifie « fanfaronner ». On est en droit de se demander ce qui est désigné par le pronom la, également présent dans d’autres tournures de même sens, comme se la jouer ou se la raconter, ce dont devraient se préoccuper les féministes. Au demeurant, évitons de dire, par exemple : « Depuis qu'il est proctologue, il se la pète. »
Se mettre en danger
Expression chérie par certains artistes, pour qui le risque ne réside pas dans le fait d’escalader un volcan en éruption ou de se rendre sur un terrain de guerre, rien de tout cela. Le créateur qui se met en danger propose au public une œuvre qui tranche avec sa production antérieure et qui pourrait ne pas faire chanter le tiroir-caisse, ce qui est terrifiant. Mais, bien sûr, cela ne se dit pas.
Se réaliser
Pour les gens normaux, réaliser signifie « faire ». Or, de nos jours, on se réalise dans de multiples domaines : dans sa famille, son travail, ses loisirs, la liste est ouverte. Naturellement, on pourrait tout aussi bien s’épanouir, ce n’est pas interdit. Notons que, pour bien se réaliser, il est conseillé d’avoir recours au développement personnel (voir cette expression).
Sérendipité
Attesté en français en 1953, sérendipité nomme le fait de faire une découverte par hasard alors que l’on cherchait autre chose. Sérendipité pourrait commuter avec coup de chance ou heureux hasard, voire avec coup de bol, mais les médias l’adorent, car 1) il est long, 2) il fait cultivé.
Solutionner
Beaucoup seront étonnés, car solutionner n'est pas un néologisme, puisqu'il est attesté pour la première fois en 1795, ce qui ne nous rajeunit pas. Ce verbe peu attrayant a toutefois la faveur des commentateurs et parleurs en tout genre, très probablement parce qu'il est plus facile à conjuguer que résoudre et, bien sûr, parce qu'il est volumineux. Plus c'est long, plus c'est bon.
Son, sa, ses
Que le lecteur en juge d’après sa propre expérience : lorsqu’il se rend(ait) au restaurant, il a(vait) la possibilité de commander non pas un steak et des pommes de terre, mais un steak et ses pommes de terre. Même chose pour le dessert : la tarte aux fraises avec coulis de framboise s’est transformée en tarte aux fraises et son coulis de framboise. Et le client de s’interroger : pourquoi diable accoler des articles possessifs à des accompagnements ? Ces mets sont-ils incomparables ? Formulation adorée de certains restaurants, auxquels cet artifice grammatical tient lieu d’étoile.
Stricto sensu
Locution latine qui signifie « littéralement, au sens strict ». A une cote folle chez les discoureurs, notamment ceux qui passent à la télé et qui se sentiraient humiliés s’ils ne lâchaient pas quelques mots de latin par-ci par-là.
Supra
Autre mot latin, qui signifie « au-dessus » et que les snobs préfèrent à ci-dessus. Le prestige du latin n’est pas près de s’éteindre.
Sur Paris
Certes, il existe des cas où sur peut être employé devant le nom d’une ville : marcher sur Rome, neiger sur Paris. Mais, hormis ces cas précis, l’évocation d’un mouvement militaire pour la première phrase et celle d’un événement climatique pour la seconde, les autres utilisations de sur devant un nom de ville sont fautives. Pourtant, on n’y coupe pas : les tournures J’habite sur Paris, Je travaille sur Marseille, etc., se sont répandues dans le langage comme un virus de pangolin sur la population mondiale. Comme on n’est pas en vol géostationnaire au-dessus de quelque lieu, on évitera de dire, par exemple, que l’on va sur Lyon.
Surréaliste
Surréaliste fait partie de cette longue liste d’adjectifs qui se rapportent à une œuvre, un artiste ou un mouvement artistique. Son sens normal est « qui se rapporte au surréalisme ». Seulement, le pauvre a été dévoyé, et voilà qu’il est employé à la place d’autres adjectifs, comme extraordinaire ou incroyable. Idée d’amusement : demander, à quelqu’un qui se gargarise avec surréaliste, une définition précise de cette notion.
Synergie
Que les choses soient claires : est révolu le temps où l’on travaillait en collaboration ou en coordination avec quelqu'un ; cela est par trop banal.
R
Récurrent
Avant, l'adjectif récurrent était réservé aux domaines de la médecine et des mathématiques. Mais, un jour, quelque grand savant des médias l'introduisit dans le langage courant, et plus rien n'est comme avant : finis, fréquent ou qui revient souvent. Nul doute que cette utilisation de récurrent trahit une influence de l'anglais recurrent qui signifie « fréquent », mais on ne peut s'empêcher d’y voir également un autre exemple de cette mode des mots longs et peu … fréquents, justement.
Région
Zone située en dehors de l’Île-de-France, c’est-à-dire, vue depuis le parvis de Notre-Dame, très très loin. Les gens légèrement dédaigneux polis disent en région et non pas en province, car ce nom de province sent un peu trop la terre. On veut bien être écolos, mais il ne faudrait pas non plus pousser le bobo dans le purin.
Relativiser
L’utilisation contemporaine de relativiser est évidemment étrangère à l’œuvre de Kant ou aux travaux d’Einstein, puisque ce verbe est bien souvent employé au lieu de tournures comme diminuer l’importance ou raison garder, laquelle est pourtant bien placée sur l’échelle de la chiquitude. On ne dira jamais assez combien les verbes terminés par -iser font érudit.
Rencontrer un impondérable
Que ne rencontre-t-on, pas, de nos jours : des problèmes, des difficultés, toutes choses peu sympathiques, et la liste n’est pas close. Certes, cette utilisation de rencontrer est un calque de l’anglais to meet, mais ce n’est pas tout : voilà que l’on rencontre des impondérables. Non seulement on méprise ainsi des expressions de bon aloi comme faire face, mais, en outre, on emploie très mal ce nom : impondérable a pour sens « événement imprévisible dont l’effet peut être décisif » et non pas « inconvénient ou contretemps », ce qui n’est pas exactement la même chose. Cela étant, vu la faveur dont jouit rencontrer un impondérable, il va être difficile de rectifier cette tendance.
Résilience
En termes de physique, résilience signifie « résistance aux chocs » et, dans le domaine de la psychologie, il a pour sens « force de résistance, capacité à encaisser ». De nos jours, résilience est utilisé à tort et à travers par les adorateurs du lexique médical, toujours prêts à se damner pour pouvoir en placer un échantillon dans leurs propos. En outre, tout comme les verbes terminés par -iser, les noms qui se finissent par -ence ont une cote incroyable ; de ce fait, caser résilience dans un dîner en ville est un impératif si l’on veut continuer à être invité aux réceptions du comte Harbourg.
Se ressourcer
Verbe post-baba cool qui signifie retrouver ses racines, voire se retrouver avec son moi profond, pour les adeptes des théories new age. Fait donc partie, lui aussi, de ces mots piqués aux psys et vénérés par ceux qui veulent donner l’impression d’être très au fait de tous ces sujets.
Restaurant d'entreprise
Aberration lexicale : quand on va au restaurant, on est servi à table. Pourtant, au restaurant d'entreprise, le visiteur garnit lui-même son plateau. On est alors en droit de s'interroger sur la pulsion qui conduisit certains à renommer ainsi ce qui n'est jamais qu'une cantine. Bien sûr, la réponse n’est guère difficile à trouver : cantine fait scolaire, voire populaire, et cela est infâmant.
Revenir vers quelqu'un
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette expression n'est pas réservée à des personnes qui se seraient éloignées, même si la distanciation physique est de nos jours hautement recommandée. Il s’agit en effet d’un équivalent contemporain de locutions comme entrer de nouveau en contact avec quelqu'un. Le problème, c’est que revenir vers quelqu’un peut être source d'ambiguïté : Jules est parti mais il va bientôt revenir vers nous. Comprenne qui pourra.
Revisiter
Que signifie revisiter un appartement ? Deux possibilités : le visiter de nouveau avant de le louer ou de l'acheter, ou bien le cambrioler de nouveau. Or, dans l’acception actuelle, il n’en est rien : revisiter s'emploie de nos jours à la place de refaire la décoration ou l'aménagement d'un lieu (généralement d'habitation). Pour les œuvres littéraires ou artistiques, revisiter peut remplacer étudier de nouveau, donner un éclairage nouveau ou donner une nouvelle forme ; on peut ainsi, dans une même journée, revisiter un appartement et revisiter une pièce de Molière. Mais ce n’est pas tout : on peut aussi revisiter un appartement qui a été revisité, c’est-à-dire faire une seconde visite d’un appartement, ou le décorer de nouveau, après qu’il a été cambriolé ou décoré deux fois. Mais, là, les choses se compliquent grandement. Au demeurant, même s’il s’agit d’un anglicisme sémantique créé à partir de l’anglais to revisit, revisiter est adoré des chroniqueurs culturels et des animateurs d'émissions consacrées au home staging, puisque c’est ainsi que l’on appelle aujourd’hui la mise en valeur d’un logement atypique. De quoi donner le tournis.
P - Q
Partenaires sociaux
Les partenaires sociaux sont les syndicats, ceux des salariés et ceux des patrons. On aura remarqué la faveur dont jouit l'adjectif social, utilisé pour insister sur le côté positif de ce dont on parle. Mais cette méthode Coué peut tourner au couac : pensons donc au fameux plan social, qui n’est rien moins qu’un licenciement collectif. On cherche encore en quoi ce type de mesure peut être jugé favorable à ceux qui sont concernés. Tu es viré, Camarade, mais c'est social. Ah bon.
Pas de souci
Voilà une expression qui a la vie dure. Née vers la fin des années quatre-vingt dix, Pas de souci est toujours utilisée par les paresseux qui ont la flemme de dire Ne vous inquiétez pas. A remplacé pas de problème, qui commence à faire un peu daté. Toujours plus pressés que tout le monde, les adeptes du langage SMS utilisent la forme tkt, qui représente T’inquiète, de même sens. On vit une époque décidément très moderne.
Pause méridienne
Interruption temporaire du travail se produisant vers midi et consistant à s’alimenter avec ses collègues dans le brouhaha de leurs bavardages, lesquels tournent immanquablement autour du travail, car certains ne décrochent jamais. Appellation en vogue dans les entreprises qui se veulent innovantes, selon un mot bien répandu dans ce monde. Ajoutons que la pause méridienne se fait généralement au restaurant d'entreprise, plus rarement au bistrot du coin, trop popu, ou bien dans l’espace détente. Ailleurs, on va déjeuner à la cantine de la boîte, et on mange aussi bien.
Pétales
Le beau parleur ne mange pas des tranches d'un aliment, mais des pétales. Probablement a-t-il ainsi la bucolique sensation de se téléporter à la campagne, qui sait. Adorés de ceux qui ne savent pas cuisiner et qui, après avoir regardé l’une des plaies contemporaines du petit écran que sont les émissions culinaires, se récrient devant des pétales de pomme de terre, appelés chips par les gens normaux. Extase garantie si ces pétales sont servis en un lieu bistronomique recommandé par les collègues de bureau durant la pause méridienne (voir plus haut), car on ne saurait aller au simple troquet du coin.
Planète
Corps céleste unique, tournant en orbite autour du Soleil. Unique, car on entend toujours l’expression la planète, ce qui tendrait à prouver qu’il en existe une seule dans tout l’univers. Chacun connaît la phrase C’est bon pour la planète, popularisée par une sympathique présentatrice de bulletins météo télévisés mais un peu fatigante à la longue, avec ce mantra.
Portionner
Trouvaille contemporaine remplaçant, pour certains hâbleurs, le verbe d’ancien français partager. Une calamité arrivant rarement seule, on trouve maintenant des produits alimentaires portionnables. C’est la vie.
Positiver
À l'origine, positiver signifiait « rendre positif » et se cantonnait dans un usage purement intellectuel. Seulement, le slogan publicitaire d’une certaine chaîne d’hypermarchés est passé par là. Et c’est pourquoi l’on n'incite plus le déprimé à être optimiste ou à voir les choses du bon côté, mais à positiver. L’influence de la publicité est redoutable. Note : à quelqu’un qui cherche en vain d’anciens négatifs, éviter de lui recommander de positiver, il pourrait en prendre ombrage.
Prioriser
Certains bavards ne veulent pas traiter en priorité telle ou telle chose, mais la prioriser. Vénéré dans les rédactions, où l’on se met facilement à genoux devant les verbes terminés par -iser.
Proactif
Il y a quelques années, le monde enchanté de la cosmétique avait lancé des produits proactifs, censés faire rajeunir toute acheteuse de ces crèmes et sérums révolutionnaires. Aujourd'hui, proactif est également employé dans l’univers merveilleux des entreprises, où l'on qualifie volontiers de proactif toute personne volontariste, dynamique ou réactive. Mais attention à ne pas critiquer le nouveau proactif si on passe ses journées dans une boîte qui fabrique des produits de beauté ; il pourrait en effet y avoir ambiguïté.
Procrastination
Depuis qu'un petit malin a lancé le nom procrastination dans les médias, c'est la ruée : tout un chacun l’emploie à tour de plume ou à tour de micro. Bien sûr, sachant que procrastiner signifie « ajourner, remettre au lendemain », la procrastination est donc l'ajournement. Mais procrastination est bien plus élégant. Et puis, diable, quelle longueur.
Quelque part
Expression qui semble être passée de mode, que l’on employait à la place de en quelque sorte ou de dans une certaine mesure. S’entend toutefois encore par-ci par-là, mais peut-être est-ce la mode du vintage.
Qui est le mien
Le parler snob actuel adore remplacer des mots et expressions brefs par des choses démesurées. L'adjectif possessif semble aussi subir ce sort, supplanté qu'il est par une phrase, en l'occurrence qui est le mien : ainsi, mon travail devient le travail qui est le mien. Cette emphase, si elle peut être acceptée dans certains contextes pour des raisons stylistiques, ne doit pas être utilisée jusqu'à l'abus. Faisons-le remarquer aux politiques, en particulier, qui adorent s'exprimer ainsi.
Qui va bien
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette tournure n’est pas née ces dernières années, car nous en avons trouvé une occurrence dans un feuilleton télévisé de 1968. Semble surtout utilisée en cuisine : tu nous mettras avec ça le petit rosé bien frais qui va bien. Peut aussi être proférée dans tout contexte où on a la paresse d’employer des tournures très complexes comme qui l'accompagne (parfaitement) bien. L'époque est flemmardeuse.
Quoi
Adverbe interrogatif auquel il arrive de terminer des phrases, ce qui n’est pas normal, car cela n’ajoute aucune information au propos tenu : Demain, on ira au cinéma, quoi. On comprend que, à l’instar de tournures comme du coup ou en fait, quoi utilisé ainsi est tout simplement une béquille du langage. Mais il peut aussi servir pour appuyer une argumentation, notamment une incompréhension : T’es une fille, t’as pas de shampoing ?! Non mais allô, quoi ! Dans ce dernier exemple, quoi ! pourrait être remplacé par mais enfin !, que diable !, j’en suis totalement abasourdi(e) ! À condition que ce soit une autre personne qui s’exprime, évidemment.