Françoise NORE

Françoise NORE

Les Égarés : incipit

 

          S*** s'endormait dans la rumeur des derniers navires parvenus au port dans un sillage de machinerie harassée. Un souvenir de lumière oblique balayait la courbe de la rade, une torpeur de soirée hivernale enserrait de son engourdissement les collines de la Cité dont les sommets s'évanouissaient derrière le brouillard, annonce du crépuscule qui envahissait déjà l'arrière-pays, là-bas, au loin, à l'occident, avant de descendre ici.

          Les heures passaient, la nuit se faisait, silencieuse, enveloppant les domaines en terrasses étagés sur les flancs des coteaux et les immeubles à colonnades serrés autour de la baie. De la mer montait une vapeur froide que trouaient les pulsations lumineuses du cœur nocturne de la Cité, organe infatigable qui palpitait continûment. Le quartier de Lustring ignorait en effet le sommeil ; le désir le tenait éveillé, attisé par un souffle écarlate qui émanait en permanence de ses venelles en labyrinthe et flottait au dessus de linéaments mystérieux, souvenirs fugitifs de frôlements furtifs, réminiscences mais aussi annonces du plaisir, des plaisirs, qui régnaient ici, encore, toujours.

          La silhouette d'un manteau noir sortit d'un immeuble de la Burgstraße, prit la direction de la colline Lichtenweg par la Margaritastraße. Quelques vitrines encore allumées éclairaient avec parcimonie les marches taillées dans les pavés disjoints des trottoirs. La silhouette ralentit, s'immobilisa. La rue s'enfuyait, s'échappait vers le sommet de la colline, d'où elle dévalerait le versant opposé et deviendrait sentier, et ici, à mi-hauteur, elle se faisait déjà ruelle, bordée de maisons basses et de boutiques aux devantures de bois. Quelques pas, encore. Une chope de fer forgé grinçait sur une tige ridée par le temps. Le Molodost. Un immeuble étroit, à colombages, un perron qui donnait accès à une porte percée en son centre par un guichet protégé de barreaux de métal.

          Lydia Hagen pénétra dans l'établissement, monta l'escalier, se dirigea vers la fenêtre, s'assit. Un frôlement s'approcha, puis un sous-verre et un schnaps apparurent. Elle remercia d'un hochement de tête, se tourna vers la fenêtre. Longtemps auparavant, longtemps, des années de cela – des années, déjà, oui –, le Molodost avait fait sa connaissance un soir où elle revenait de la Studentskaïa Akademia, un soir où elle avait fait l'université buissonnière.

 

 

 



04/11/2013
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