Françoise NORE

Françoise NORE

Les Égarés : extrait n°3

 

 

      Marina Zaïetseva finit son verre puis sourit à l'inconnu qui dînait à la table voisine de la sienne, sourit au serveur, au patron du Restaurant Strast. Des hommes, vivants, disponibles peut-être. Des hommes, certainement prêts à la toucher, des hommes qui ne se contenteraient pas de lui parler politique pendant des heures, des hommes qui la considéreraient sûrement comme une femelle – et ce serait bien, et cela la changerait. Des hommes avec des mains d'homme, des corps d'homme, des désirs d'homme, des hommes qui disent et osent dire des mots qui font frémir d'impatience, des hommes qui ne parlent pas de politique mais qui expriment leur convoitise de ce corps qui s'offre à eux – des hommes, tout simplement.

      A la fin du repas, le dîneur voisin lui proposa un digestif ; elle accepta. Il suggéra ensuite une promenade ; elle le suivit. Ils marchèrent, lentement, au hasard des ruelles de Lustring. Des couples les croisaient, des femmes au regard brillant, des hommes à l'air décidé. Des lumières rouge vif chaudes et humides tombaient des enseignes, caressant les chevelures féminines de leurs rayons vaporeux, un tintement de verres entrechoqués ponctué d'éclats de fous-rires s'échappait des bars, un déferlement de musique syncopée coulait dans l'entrelacement des allées et passages, flux et reflux de vagues sonores et lumineuses dont l'écho et le rayon heurtaient les pavés bombés des trottoirs, frôlant parfois, à la faveur de l'entrebâillement d'une porte, une épaule dénudée, la résille d'une jambe tanguant sur des talons aiguilles, la courbe noire d'une hanche moulée dans une ébauche de jupe.

      L'homme entraîna Marina Zaïetseva vers la Perspective Krasnaïa, la précéda dans un hôtel en retrait de l'avenue. Un minibar occupait un angle de la chambre, une vodka arriva dans la main de Zaïetseva. L'homme déshabilla son invitée, la regarda longuement, puis tourna le commutateur. Les lumières de la Cité traversèrent le voilage de la fenêtre, jouant avec la nudité du corps qui attendait, assis au bord du lit. L'inconnu pénétra Marina Zaïetseva avec brutalité – il existait, lui ; elle cria de surprise et de plaisir.

      On rencontrait donc encore de la vie, parfois.

      Il lui fit mal. Et c'était bien.

      Tout, pourvu que la vie soit.

      L'homme partit ensuite en la saluant d'un sourire silencieux. Une réminiscence d'ambre s'attarda dans la chambre tandis que Zaïetseva se rhabillait, lentement, en caressant ses vêtements.

 

 



21/11/2013
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