Françoise NORE

Françoise NORE

Histoires de mots


Barbecue (n.m.)

En 1518, le nom hispano-américain barbacoa est attesté dans la région de l’isthme de Panama ; ce nom est provient de l'arawak, langue amérindienne parlée au nord de l’Amérique du Sud et plus précisément en Guyane, au Suriname, au Guyana et au Venezuela. En 1723, le français emprunte barbacoa ; on le rencontre dans l’imposant Dictionnaire Universel de commerce de Jacques Savary des Bruslons, qui le définit ainsi : « Espece de grand gril de bois élevé dans le milieu d’un Boucan, sur lequel l’on met la viande & le poisson, qu’on veut faire boucaner. Ce terme, qui est Caraïbe, a passé dans la langue Françoise, depuis que les François se sont établis dans les Isles Antilles de l’Amérique. » (graphie d’époque).

 

Peu auparavant, les Américains avaient également emprunté barbacoa, attesté en anglais en 1697 sous la forme barbecu ou borbecu avec le sens de « cadre de bois latté servant de sommier ». En 1699, ce nom prend le sens de « dispositif sur lequel l’on fait rôtir les viandes en plein air ». En 1709, il a la signification de « viande rôtie à ce dispositif » puis, en 1733, celle de « réunion sociale à l’occasion de ce repas en plein air » et enfin, en 1931, le sens de« gril pour la cuisson sur un feu ouvert ».

 

La forme barbecue s’implante plus tard en français : en 1913, graphié barbacue, ce nom est glosé « ripaille populaire où l’on rôtit un bœuf et un mouton » par G. Apollinaire. La presse française parle plus tard, en 1927, d’une barbecue, qu’elle définit de la façon suivante : « coutume ‘western style’ qui consiste à offrir à ses invités de la viande rôtie que l’on mange avec les doigts ». Enfin, en 1949, barbecue prend le genre masculin ; il désigne alors cette sorte de pique-nique. Parallèlement, on rencontre la forme Bar B. Q. en français en 1947, qui nomme le lieu où est installé le dispositif de cuisson. Barbecue « appareil de cuisson fonctionnant au charbon de bois pour griller ou rôtir » est finalement attesté en 1948.

 

Notons que le Conseil international de la langue française proposa pour équivalent français le néologisme grilauvent, qui a dû tomber dans la braise car il est totalement inconnu.


22/12/2024
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Punch « cocktail » (n.m.)

Le nom punch entra en anglais vers 1600. En 1653, on peut lire la phrase suivante dans un récit français de voyage : « Bolleponge est un mot anglois » ; on notera que bolleponge est la déformation de la locution anglaise bowl of punch « bol de punch ». En 1674, la forme punch est attestée dans un ouvrage intitulé Recueil de divers voyages faits en Afrique et en l'Amérique ; les Antilles anglaises connaissaient en effet le nom punch. Peu après, en 1688, ponche est présent dans un autre récit, dont le titre est : Premier voyage... fait a la coste d'Afrique en 1685 ; on sait que l’anglais punch était en usage à cette époque-là en Afrique occidentale. La forme francisée ponche est enregistrée par le Dictionnaire de Trévoux en 1704 et par l’Académie française en 1762. Enfin, en 1837, punch est présent sous la plume du romancier Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889) avec le sens de « réunion, réception où l'on boit du punch ».

 

L'Inde ou les Antilles ?

 

De ce qui précède, il est licite de se demander si l’emprunt par le français du nom anglais punch ne se serait pas produit dans les Antilles plutôt qu’en Angleterre. Quoi qu’il en soit, l’histoire de ce nom est complexe ; il est généralement affirmé que punch est une altération du nom hindi panch, qui signifie « cinq », dans la mesure où ce mélange était composé de cinq ingrédients à l’origine, de l’alcool, de l’eau, du jus de citron, du sucre et des épices. Cette explication remonte à un ouvrage de John Fryer intitulé A New Account of East India and Persia, in Eight Letters (1698), mais les lexicographes ont depuis longtemps relevé des difficultés d'ordre phonétique et historique. Il n'existe en outre aucune preuve de l'existence d'une boisson appelée panch en Inde ou dans un autre pays avant l’introduction du nom anglais, et l'on sait maintenant que le mot anglais était utilisé avant que les Anglais ne deviennent des commerçants réguliers des Indes ou ne tentent de s'établir en Inde.

 

Une boisson très ancienne

 

Des mélanges de cinq ingrédients à base de vin et similaires au punch étaient consommés en Europe depuis le Moyen-Âge. Les spiritueux distillés ne sont devenus courants en Angleterre qu'au cours du XVIIe siècle, époque à laquelle le punch s'est également répandu. Dans les années 1650, le punch est appelé Indian drink « boisson indienne ». Dans les sources du XVIIe siècle, la boisson est aussi souvent associée aux Antilles ; dans un texte de 1684, on peut lire : « there is a pernicious sort of Drink in great Reputation and Use amongst them [our Country-men, viz. in Iamaica, Barbadoes and the Leward Islands], call'd, PVNCH , [...] This sort of beloved Liquor is made of Brandy or Run, Sugar, Water, Lime-Iuice, and sometimes Ginger or Nutmegs: Now here are four or five Ingredients, all of as different Natures as Light is from Darkness, and all great Extreams in their kind, except only the Water. » (il existe une sorte de boisson pernicieuse très réputée et utilisée parmi eux [nos compatriotes, c'est-à-dire en Jamaïque, à la Barbade et dans les îles Leward], appelée PVNCH [...] Cette sorte de liqueur bien-aimée est composée de Brandy ou de Run [rhum], de sucre, d'eau, de jus de citron vert, et parfois de gingembre ou de noix de muscade : il s'agit de quatre ou cinq ingrédients, tous de nature aussi différente que la lumière l'est des ténèbres, et tous très extrêmes dans leur genre, à l'exception de l'eau.).

 

Le punch et la mer

 

L'anglais punch est attesté pour la première fois dans la locution punch pot (orthographiée alors paunche pot), qui pourrait référer à une boisson servie dans un type particulier de récipient plutôt qu'à une recette de boisson particulière. L'ancienne orthographe suggère un lien possible avec paunch « panse, ventre de l’homme » ou une influence de ce dernier. Il se peut qu’il y ait un lien avec le nom puncheon « fût, tonneau » : punch peut avoir été un raccourci de puncheon dans le langage des marins, mais l'usage le plus ancien de punch ne suggère pas une origine nautique. Puncheon ou poncheon, attesté vers 1400, était également le nom d'une unité de mesure pour le vin, d'environ 70 gallons (340 litres) ; l'histoire rapporte des bols à punch de taille considérable destinés à être servis à de grands rassemblements d’hommes, ce qui pourrait relier le punch au navire. On a également pensé aux variantes dialectales du nom de moyen français poncheon, telles que pochon, qui nommaient une tasse, un verre, une grande louche pour la soupe et une sorte de poêle ou de casserole à trois pieds. Toutes ces hypothèses montrent que l’explication par les cinq ingrédients indiens n’est pas assurée.


12/03/2025
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Bacon (n.m.)

Le nom bacon ne naquit pas outre-Manche, mais en France. En ancien français, bacon, d’origine germanique, désignait alors une pièce de lard. Ce nom prit la route de l’Angleterre où il est attesté au début du XIVe siècle avec le sens général de « viande de porc » ; on peut valablement supposer que cet emprunt se fit lors des échanges lexicaux entre les deux pays durant la guerre de Cent Ans (1337-1453). À cette époque, le bacon était la viande de base de la population rurale ; chez Shakespeare, bacon est un terme méprisant utilisé avec le sens de « rustre ».

 

 

 

Bacon et l'argot

 

Cela étant, bien plus tard, bacon revint en France mais, curieusement, ses premières attestations se relèvent dans des dictionnaires d’argot, avec les formes et les sens tels qu’ils sont fournis par les auteurs des ouvrages en question : baccon « pourceau », en 1829 (Bras-de-Fer, Nouveau dictionnaire d’argot par un ex-chef de brigade sous M. Vidocq) ; baccon « pourceau », en 1837 (E.F. Vidocq, Les Voleurs) ; bacon ou baccon « porc », en 1849 (Arthur Halbert d'Angers, Nouveau dictionnaire complet du jargon de l'argot) ; baccon « cochon (Argot des voleurs) », en 1894 (Charles Virmaître, Dictionnaire d'argot fin-de-siècle). Ainsi, bacon fit son retour en France en entrant tout d’abord dans le lexique du banditisme du XIXe siècle, chose à laquelle on ne pense pas de prime abord.

 

 

 

Les parlers régionaux, gardiens de l'ancien français

 

Le fait que bacon revienne en français par l'argot mériterait quelques recherches sur d’éventuels échanges entre truands français et anglais, mais il semble plus vraisemblable que, à l’instar d’un certain nombre de mots d’ancien français, bacon, oublié du lexique français général, resta utilisé dans les dialectes avant de renaître au début du XIXe siècle dans la capitale. Le fait que bacon resta d’usage dans les provinces est corroboré par les remarques suivantes : dans l’édition posthume de 1728 du Dictionnaire de Pierre Richelet (1626-1698), il est écrit : « Bacon, vieux mot qui regne encore dans quelques provinces, parmi les paysans, où l’on appelle bacon, le lard, et la chair salée » (graphie d’époque). De la même façon, dans l’article Bacon de son dictionnaire, Frédéric Godefroy (1826-1897) écrit, en 1881 : « Le normand, le picard, le wallon, le messin, le lyonnais, le forésien, le dauphinois, le bressan, le patois romand de la Suisse, ont gardé bacon, baccon, flèche de lard salé ». Après avoir cité de multiples exemples tirés d’écrits médiévaux contenant le nom bacon, Godefroy ajoute : « Vigneulles parle de la course du bacon à Metz, course où le prix était un morceau de lard » ; il s’agit de Philippe de Vigneulles (1471-1528), chroniqueur de la ville de Metz.

 

 

 

Bacon et le Nouveau Monde

 

Après son retour dans les ouvrages relatifs à l’argot de l’époque, bacon intégra le français standard ; ainsi, il est attesté en 1884 dans un récit de voyage aux États-Unis, puis en 1899 dans un contexte français. Il est difficile de parler de retour en français au sujet de bacon, puisque de très nombreux parlers régionaux l’avaient conservé au XIXe siècle dans leur vocabulaire usuel, avec une prononciation française comme on peut le conjecturer raisonnablement. Si bacon apparut dans le lexique argotique du début de ce même siècle, cela peut s’expliquer par des rencontres entre truands venant de différentes parties de France, et sa résurrection dans le parler général est due à l’observation des coutumes anglo-saxonnes en matière d’alimentation. Bacon est donc un très ancien nom français, ravivé par l’attrait des mœurs américaines, et il serait inenvisageable de le bannir du lexique français.


08/02/2025
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Petits hommes verts

La locution petits hommes verts est un calque de la locution d’anglo-américain Little green men ; elle est utilisée par manière de plaisanterie pour désigner les hypothétiques habitants de la planète Mars et, par extension, les extraterrestres, s’ils existent évidemment.

 

Little green men n'est pas une expression récente ; si elle devint usuelle aux États-Unis durant les années 1950, elle avait déjà une certaine existence. Le folkloriste américain Chris Aubeck effectua des recherches électroniques dans d’anciens titres de presse et trouva un certain nombre de textes datant du début du XXe siècle et faisant référence à des extraterrestres de couleur verte. Ainsi, il mit au jour un conte intitulé Green Boy from Hurrah « Le garçon vert de Hurrah », Hurrah faisant référence à une planète autre que la Terre ; ce conte avait été publié en 1899. Le romancier Edgar Rice Burroughs (1875-1950) fit référence aux « hommes verts de Mars » et aux « femmes vertes de Mars » dans son premier roman de science-fiction, A princess of Mars, publié en 1912. Toutefois, la première utilisation de l'expression spécifique little green man en référence à des extraterrestres qu'Aubeck trouva date de 1908 ; elle était présente dans un quotidien publié à Augusta (Maine), le Daily Kennebec Journal.

 

À partir de ce moment, les extraterrestres verts devinrent une image courante et ornèrent les couvertures de nombreux magazines de science-fiction, des années 1920 aux années 1950. Le premier exemple imprimé et documenté, associant les petits hommes verts à des vaisseaux spatiaux extraterrestres, se trouve dans une chronique de journal satirisant la supposée panique publique qui suivit la célèbre émission de l'acteur et réalisateur américain Orson Welles (1915-1985), La guerre des mondes, diffusée le 30 octobre 1938 à l'occasion de la fête de Halloween. L'article publié le lendemain dans le Corpus Christi Times commence ainsi : « Thirteen little green men from Mercury stepped out of their space ship at Cliff Maus Field late yesterday afternoon for a good-will visit to Corpus Christi » (Treize petits hommes verts venus de Mercure sortirent de leur vaisseau spatial à Cliff Maus Field [l'aéroport local] hier en fin d'après-midi pour une visite de courtoisie à Corpus Christi ». Cet article se termine de cette façon : « Then the 13 little green men got in their space ship and flew away » [Puis les 13 petits hommes verts montèrent ensuite dans leur vaisseau spatial et s’envolèrent]. La familiarité avec laquelle le terme est utilisé dans cet article suggère que ce n'était probablement pas la première fois qu'il était appliqué à des extraterrestres se déplaçant dans des vaisseaux spatiaux.

 

Little green men est donc une expression relativement ancienne. On ne possède pas la date de première attestation de petits hommes verts en français ; on sait seulement que cette expression devint courante dans les années 1970, ce qui suggère une apparition durant les années 1960, voire durant la décennie précédente. Au demeurant, petits hommes verts est toujours utilisé avec familiarité, voire avec incrédulité.

 

 

 

 

Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Little_green_men


21/01/2025
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Snob (n.m. & f.)

La première attestation en anglais du mot snob remonte à l’année 1781 ; employé comme nom, il a alors les sens de « cordonnier » et d’« apprenti cordonnier ». Ensuite, à partir de 1796, snob fut utilisé dans l’argot de l’université de Cambridge ; les étudiants l’employaient de façon quelque peu méprisante avec le sens de « citadin, commerçant local », « personne qui n’appartenait pas au cercle des étudiants ».

 

Plus tard, snob sortit des murs de la vénérable université et entra dans l’usage littéraire où il est attesté en 1831 avec la signification de « roturier, personne des classes ordinaires ou inférieures ». Le sens de « personne qui imite vulgairement ses supérieurs sociaux » apparut en 1843 ; il fut popularisé par The Book of Snobs, by One of Themselves (Le Livre des snobs, par l'un d'entre eux) du romancier britannique William M. Thackeray (1811-1863), publié au Royaume-Uni en 1848. Cet ouvrage reprenait une série d'articles publiés dans l'hebdomadaire humoristique Punch (1841-2002) sous le titre « The Snobs of England, By One of Themselves » (Les Snobs d'Angleterre, par l'un d'entre eux), dont le personnage principal s'appelle Snob. Il s'agit donc des mémoires d'un snob.

 

Le sens de snob s'élargit ensuite pour désigner les personnes qui mettent en avant leur raffinement et celles qui aspirent à la distinction et, en 1911, le mot prit sa signification de « personne qui méprise celles qui sont considérées comme inférieures en rang, en réalisation ou en goût », ce qui fait un retournement sémantique complet : après avoir été un roturier qui aspirait à la distinction, le snob était dorénavant une personne appartenant à une classe supérieure et méprisant ceux qu’il estimait lui être inférieurs.

 

En français, snob est d’abord attesté comme nom en 1843 ; dans un ouvrage historique, il est utilisé comme sobriquet donné à un personnage vulgaire et mal éduqué. En 1857, snob a le sens de « personne qui veut se donner des airs d’être de la bonne société et le fait avec ostentation » ; cette attestation est présente dans la traduction de The book of snobs, cité plus haut. Toujours en 1857, snob est utilisé comme adjectif avec le sens de « qui a les travers d’un snob » dans la Revue des Deux Mondes. Plus tard, en 1881, snob est enregistré par Rigaud, dans son Dictionnaire de l’argot moderne, avec la définition suivante : « noble, beau, correct, dans le jargon du peuple ».

 

L’origine de snob reste très discutée ; selon les chercheurs britanniques, ce serait un mot d’origine dialectale. L’explication couramment avancée selon laquelle snob serait une abréviation de l’expression latine sin nobilitate « sans noblesse », inscrite devant les noms des étudiants de Cambridge non issus de la noblesse britannique, est totalement farfelue et irrecevable puisque la toute première attestation de snob concerne non des étudiants issus de la plèbe, mais des cordonniers. Au demeurant, si l’on souhaite éviter snob, on peut utiliser prétentieux ou vaniteux, voire fat ou suffisant dans un registre plus littéraire.


15/01/2025
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