Lectures et annonces de publications
Jean Maillet, Les Face-à-face de l'Histoire
Ancien professeur d’anglais, Jean Maillet est l’auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages, dont une majorité sur le français. Nombre de ses livres sont consacrés aux expressions de notre langue, mais aussi aux affronts que celle-ci peut subir, comme les anglicismes ou les barbarismes de toutes sortes. La linguistique n’est donc pas une discipline inconnue de notre auteur.
Or, dans son dernier ouvrage intitulé Les Face-à-face de l’Histoire, J. Maillet se tourne vers un autre domaine, l’Histoire, et entreprend de décrire des rencontres, avérées ou vraisemblables, ayant eu lieu entre des personnages historiques, qu’il s’agisse de monarques, d’hommes politiques ou d’artistes. Qui dit rencontres dit conversations, et J. Maillet a eu l’idée d’imaginer et de mettre en scène ces échanges. On pourrait penser que cet exercice de style est chose facile, mais il n’en est rien, car l’auteur se doit non seulement de fournir des textes d’une véracité historique irréprochable mais aussi d’éviter l’écueil des anachronismes lexicaux : il serait en effet incongru d’entendre Voltaire évoquer la médiatisation de l’affaire Calas. Bien sûr, il n’en est rien, car Jean Maillet reste un redoutable – et efficace ! – pourfendeur des mauvais usages de notre langue.
Cet ouvrage a donc un intérêt tout historique mais également littéraire et linguistique, car, pour les entretiens mettant en jeu des personnages français, Jean Maillet s’attache à rédiger des dialogues dont le ton et la forme sont le plus possible identiques à ce qu’était le français à l’époque des protagonistes. De ce fait, la syntaxe et le vocabulaire de l’échange entre Henri IV et le père Coton sont bien différents de ceux employés pour concevoir la conversation entre Victor Hugo et l’éditeur Albert Lacroix. De plus, Jean Maillet a poussé l’érudition jusqu’à écrire le dialogue entre Guillaume le Conquérant et Harold Goldwinson en anglo-normand, langue maternelle de Guillaume, ce qui est un tour de force notable. En outre, par la magie de ces tête-à-tête, le lecteur se glisse dans l’intimité de figures historiques qui peuvent sembler lointaines, images de livres d’école enfouies dans un passé révolu. On notera que l’auteur a inséré dans ses propres répliques des citations avérées, et qu’il a su le faire intelligemment : ces propos authentiques ne donnent pas l’impression d’une juxtaposition artificielle mais, tout au contraire, s’intègrent naturellement dans le mouvement des échanges verbaux.
Si l’on est féru d’Histoire ou de linguistique, sans être nécessairement un spécialiste de l’une ou l’autre de ces disciplines, ou si l’on est tout simplement curieux, on prendra du plaisir à découvrir ces Face-à-face de l’Histoire ; à travers eux, on se sentira plus proche de personnages que l’on voit vivre, par-delà les décennies et les siècles, voire les millénaires, grâce à la magie de la création littéraire.
Sami Biasoni (dir.), Malaise dans la langue française
Docteur en philosophie de l'École normale supérieure de Paris, essayiste et chargé de cours à l’École des sciences économique et commerciales, Sami Biasoni a dirigé un ouvrage qui devrait intéresser tous ceux qui s'interrogent sur l'écriture inclusive et ses implications pour la langue française. Réunissant plusieurs auteurs et chercheurs de tous bords, cet ouvrage collectif paraîtra le 22 septembre prochain (plus d'informations en cliquant sur ce lien et en consultant le document ci-dessous).
Mathieu Avanzi, Parlez-vous (les) français ?
Lorsque l’on a une petite faim, rien de plus naturel que de prendre un morceau de pain. Si la baguette n’est pas entamée, on va nécessairement en prélever l’une des extrémités. Et que va-t-on donc grignoter : un croûton ? un quignon ? un croustet’ ? La réponse est simple : cela dépend de la région où l’on habite, comme nous l’enseigne le dernier ouvrage de notre collègue Mathieu Avanzi, Parlez-vous (les) français ?
Linguiste et enseignant-chercheur à la Sorbonne, Mathieu Avanzi publie un ouvrage tout à fait passionnant[1], fruit d’une recherche commencée il y a maintenant plusieurs années. Ce spécialiste des français régionaux propose dans ce livre, sous forme de cartes commentées, les résultats d’enquêtes conduites sur l’internet : il s’agit d’identifier d’une part des mots du français standard utilisés, dans telle ou telle province, avec des sens particuliers, d’autre part des mots spécifiques des différentes zones et régions de la francophonie d’Europe (France, Belgique et Suisse), que ce soient des mots dialectaux francisés ou des mots empruntés aux langues régionales (alsacien, basque, breton, etc.) et employés en français sous leur forme originale.
Indéniablement utile pour les lexicologues, ce travail l’est aussi pour le lecteur non spécialiste mais intéressé par ce sujet, qui découvre nombre de particularismes lexicaux. Car ces régionalismes sont nombreux, et toutes les régions françaises ont leurs mots et tournures bien à elles, ce qu’illustre ce livre.
Ça t’enfade, de faire quatre-heures ?
Comme on peut le constater au fil des pages, les mots et expressions régionaux sont de plusieurs types. Tout d’abord, il existe des emplois particuliers de mots français standard : en Franche-Comté et dans les départements limitrophes, Il veut pleuvoir a pour sens « Il va pleuvoir », tandis que, dans les Landes et alentour, on peut être salué par un vibrant Adieu ! qui signifie « Bonjour ». Nos régions ont aussi francisé des mots issus de langues régionales ; ainsi, l’habitant du Sud-Ouest mettra un interlocuteur en garde de ne pas s’escaner, c’est-à-dire de ne pas « avaler de travers ». Enfin, d’autres mots n’ont pas une physionomie française, puisqu’ils viennent de langues régionales : un Alsacien aborde un ami en lui demandant : « Ça geht’s ? », ce qui signifie « ça va ? », et le Breton s’éloignera après avoir lancé un joyeux Kenavo ! pour prendre congé.
Richement illustré de dessins à presque toutes les pages, cet ouvrage nous offre donc un aperçu des régionalismes en 2019, et cette précision de la date n’est pas anodine, car les habitudes langagières évoluent : ces mots qui, au moment de la publication de ce livre, n’ont pas franchi les limites de leurs provinces, se diffuseront peut-être dans toute la France dans les années à venir. Il n’est que de prendre l’exemple du film Bienvenue chez les Chtis qui avait fait découvrir, il y a douze ans, plusieurs particularismes lexicaux du Nord – Pas-de-Calais, et qui avait contribué à populariser le nom Biloute : Salut, Biloute, ça va ? De la même façon, le nom chocolatine « pain au chocolat », lequel était jusqu’à il y a peu exclusivement compris et utilisé dans le Sud-Ouest, devient lentement intelligible dans tout l’Hexagone. On peut également citer l’adverbe degun « personne », familier aux habitants du Sud-Est et qui, à la faveur de la dernière campagne pour l’élection présidentielle, a été propagé dans les médias. Ce phénomène porte un nom ; il s’agit de la dérégionalisation : un mot sort de son aire d’origine, est compris et employé ailleurs. De ce fait, ce n’est plus un régionalisme.
Un livre qui n’a pas été conçu a bisto de nas
La construction de cet ouvrage n’a en effet pas été faite « à vue de nez » : si le contenu est souvent réjouissant, car l'humour n'en est pas absent, la forme est rigoureuse. Les résultats des enquêtes sont reportés sur des cartes, à l’aide d’un code de couleurs : une couleur indique l’aire d’utilisation d’un mot ou d’une expression, tandis qu’une autre matérialise les zones où ceux-ci sont inconnus. Des notes étymologiques viennent compléter ces données. Au nombre de 92, les cartes sont réparties en six sections thématiques : En temps et en heure (10 cartes) ; Humeurs et sentiments (16 cartes) ; Politesse oblige (8 cartes) ; La pluie et le beau temps (14 cartes) ; À table ! (13 cartes) ; Notre quotidien (16 cartes). Ces cartes sont de deux types : celles qui présentent un seul mot ou une seule expression et qui montrent la ou les régions où ils sont connus, comme avoir la cagne « avoir la flemme » ; celles qui présentent les différents mots employés pour désigner une même chose, telle la carte des appellations variées pour le pichet, aussi dénommé broc, carafe, cruche, pot d’eau ou pot à eau, selon l’endroit où l’on se trouve. Rigueur dans la conception et informations variées, Parlez-vous (les) français ? satisfera tout curieux des régionalismes, et nous en recommandons chaudement l'acquisition.
Notons, en conclusion, que le lecteur intéressé par ces faits lexicaux consultera avec profit le site de M. Avanzi ; il pourra s’y informer, naturellement, mais aussi participer aux enquêtes dont nous avons parlé au début de cet article.
Jean Maillet, Dico étymo - Inventaire des étymologies surprenantes
Le nom de l’absinthe signifierait « que l’on ne peut pas boire » ? En effet. L’hippocampe serait un « cheval-poisson » ? Tout à fait. Le niais n’aimerait guère quitter son nid ? Rien n’est plus exact. Toutes ces étymologies étonnantes, et bien d’autres, sont présentes dans le livre qui fait l’objet de cet article.
Publié aux éditions Albin Michel en 2008, le Dico étymo de Jean Maillet est un ouvrage qui fournit au lecteur l’étymologie de pas moins de 267 mots, ce qui représente un travail de recherche assez considérable : trouver l’origine des mots n’est pas un divertissement de salon mais, bien souvent, une quête de longue haleine.
Naturellement, les mots dont la provenance est totalement inattendue offrent le plus d’intérêt : il n’y a rien d’extraordinaire dans le fait que table vient du latin tabula. Ce ne sont donc pas des filiations comme celle-ci que Jean Maillet nous dévoile, mais des relations lexicales étonnantes, et son Dico étymo est un florilège de surprises étymologiques : qui penserait que des mots aussi courants que escalope, matelot ou pommade proviennent de mots dont le sens est fort éloigné du leur ? Sait-on qu’il faut fréquemment aller chercher l’origine de mots français tout à fait courants dans des langues étrangères ?
Apprendre en s’amusant
Jean Maillet s’est donc donné pour tâche d’instruire le lecteur, mais aussi de le distraire. Chaque mot fait l’objet d’une notice, et la présentation de ces notices est tout à fait originale, que l’on en juge. Le mot est immédiatement suivi de celui dont il découle, ce qui est certes classique, mais la notice descriptive elle-même est introduite par une définition de ce même mot, une définition qui s’apparente souvent, dans le ton et dans la forme, à celles auxquelles sont habitués les cruciverbistes : « Avec tambour et trompette », pour chamade, « C’est à n’y rien comprendre ! » pour galimatias, « La descendance sémantique d’une patte d’oiseau » pour pedigree. Parfois, ces définitions font directement référence à l’étymologie du mot examiné, comme « Le mot clé » pour cheville, car ce dernier vient du latin clavis « clef ». De plus, une colonne située à la gauche des explications étymologiques fournit des indices en rapport avec le mot étudié : pour délire, l’auteur indique qu’il peut être « ‘de grandeur’ ou ‘de persécution’ » et que son équivalent latin « est parfois qualifié de tremens », avant de citer les noms transport, divagation et égarement.
Au vu de ce qui précède, on comprend que, si ce livre présente un intérêt indéniable pour la découverte de l’origine de tous ces mots, il peut aussi être utilisé comme base de jeu : à l’aide de la définition et des indices, on peut s’amuser à deviner ou à faire deviner le mot qui fait l’objet de telle ou telle notice. Connaissance et divertissement, ce Dico étymo a donc plusieurs facettes.
Des références et des explications
En ouverture de son livre, J. Maillet propose un glossaire de quelques termes de linguistique ainsi que des explications sur les subdivisions du latin et du français, toutes choses bien utiles pour les non-spécialistes. Les notices sont suivies de la bibliographie sur laquelle l’auteur s’est appuyé, une bibliographie qui comprend tous les livres de référence en la matière, qu’il s’agisse de dictionnaires anciens comme ceux de Cotgrave, d’Estienne, de Furetière ou de Ménage, ou de travaux plus récents, tels ceux de von Wartburg ou de Guiraud. Enfin, l’ouvrage se conclut par un index qui dresse la liste non seulement des mots examinés, mais aussi de leurs corrélats.
On n’hésitera donc pas à se plonger dans ce Dico étymo, car les surprises étymologiques sont au coin de chaque page. Et on regardera les coquelicots, les grimoires et les marmites d’un autre œil, car on n’ignore désormais plus rien de l’origine de leur nom, origine des plus étonnantes, s’il en est.